Les référentiels du réseau ENDOCAN-TUTHYREF sont conçus comme un guide destiné à l'ensemble des professionnels de santé et des parties prenantes impliquées dans le traitement des cancers réfractaires de la thyroïde, qui rassemblent le cancer différencié de souche vésiculaire non répondeur à l’iode radioactif, le cancer médullaire thyroïdien localement avancé ou métastatique et le cancer anaplasique de la thyroïde.

Ces référentiels, élaborés par des membres du réseau ENDOCAN-TUTHYREF, ont pour objectifs de fournir des lignes directrices claires et détaillées pour aborder les différents aspects de la prise en charge, depuis l'évaluation initiale jusqu'aux traitements des patients en stade avancé, en s'appuyant sur les dernières données scientifiques, les connaissances médicales des centres experts et les pratiques cliniques validées à ce jour.

Ils abordent différents points comme la fréquence des cancers réfractaires et les variétés histologiques à risque de devenir réfractaire, les anomalies génétiques à rechercher au stade de cancer réfractaire, ainsi que les stratégies thérapeutiques validées, incluant les inhibiteurs de tyrosine kinase, la radiothérapie et les autres traitements locorégionaux, ainsi que la place des interventions ou réinterventions chirurgicales.

Ces référentiels visent à harmoniser les pratiques, à optimiser les soins pour offrir une prise en charge personnalisée et adaptée à chaque patient, tout en assurant une gestion des effets indésirables et des situations à risque, et faciliter la prise de décision en RCP à l’échelle locale comme nationale.

1a. Quelle est la fréquence du cancer thyroïdien réfractaire ?

Françoise Borson-Chazot


L'incidence du cancer de la thyroïde a été estimée à 567 233 nouveaux cas dans le monde en 2018, soit 3,1 % de l'ensemble des cancers [1]. Des chiffres similaires ont été rapportés en France, ou le cancer de la thyroïde représente 1,3 % des cancers masculins et 4,5 % des cancers féminins [2-3].

D'après le rapport de l’INCa publié en 2023, l’incidence annuelle des cancers de la thyroïde en France, en 2018, était de 7684 cas dont 5612 chez les femmes et 2072 chez les hommes correspondant à des taux standardisés de 13,1/100 000 chez les femmes et 4,5/100 000 chez les hommes en diminution par rapport à 2010 où ils étaient respectivement de 15,8 et 4,9/100 000 [4]. Cette inversion de tendance, alors que les taux d’incidence étaient en constante progression dans les 2 sexes depuis 1990, a été observée à partir de 2013 et de façon plus marquée chez les femmes [4]. Elle pourrait être liée aux nouvelles recommandations visant à limiter le surdiagnostic. L'âge médian au diagnostic était de 51 ans chez les femmes et 58 ans chez les hommes [4].

Le pronostic global du cancer de la thyroïde est excellent. Des taux de mortalité standardisés compris entre 0,2 et 0,4 pour 100 000 personnes-années ont été rapportés et tendent à diminuer sur les deux dernières décennies dans la plupart des pays [5-8].  Cependant, le cancer de la thyroïde (CT) est un groupe hétérogène de tumeurs comprenant 3 types histologiques principaux avec une incidence et un pronostic très différents : le cancer différencié de la thyroïde de très bon pronostic dans l’ensemble (CTD), le cancer médullaire de la thyroïde (CMT) de pronostic variable et le cancer anaplasique de la thyroïde (CTA) de très mauvais pronostic. Ils représentent respectivement 90%, 3-5% et 1-3% des cancers thyroïdiens [2,5].

Le terme de CT réfractaires désigne un sous-groupe de tumeurs avancées résistantes aux traitements conventionnels, quelle que soit leur histologie [9]. Leur pronostic est globalement sombre mais assez hétérogène avec des maladies très agressives mais aussi parfois des survies prolongées. A partir des données épidémiologiques du registre de la thyroïde Marne-Ardennes et du registre des cancers de la thyroïde Rhône-Alpes, au sein du réseau TUTHYREF, on estime que 3 à 4 % des cancers de la thyroïde deviennent réfractaires à un moment donné de l'histoire de la maladie. Les critères utilisés pour la définition de l'état réfractaire diffèrent en fonction de l'histologie.

Cancer différencié de la thyroïde

Les patients atteints de CTD dont la maladie métastatique ne peut être guérie par l’iode radioactif sont dits réfractaires (RadioActive Iodine Refractory ou RAIR). La définition du caractère réfractaire nécessite de disposer de données évolutives rarement disponibles dans les registres. Ceci explique les incertitudes concernant l’incidence annuelle des cancers réfractaires et son évolution au cours du temps.

On estime qu’une évolution métastatique survient chez 5 à 10 % des CTD [10-12] et que deux tiers d’entre eux deviendront réfractaires à l’iode radioactif [12-14]. Les cancers thyroïdiens réfractaires représenteraient 3 à 5 % des CTD avec une incidence estimée à 4 à 5 cas par million [15-16]. Cela correspond à 200-300 patients chaque année en France. Une étude prospective, conduite au sein du réseau TUTHYREF, à partir d’une cohorte de 660 patients présentant des tumeurs T3 et T4 a mis en évidence une évolution vers un stade réfractaire dans 15% des cas à 5 ans. Chez ces patients, l'histologie était agressive dans 57 % des cas, avec 37 % de cancers peu différenciés, 10 % de sous types agressifs de cancer papillaire, 4 % de cancers oncocytaires et 6 % de cancers vésiculaires invasifs (données non publiées).

L’évolution vers le stade réfractaire constitue un facteur de mauvais pronostic. Cependant, certains patients présentant des métastases à distance, même métaboliquement actives et résistantes à l'iode radioactif, peuvent avoir une maladie indolente avec de longues périodes de stabilité. Les estimations du risque de mortalité proviennent principalement d'études rétrospectives [13-18]. Dans ces séries historiques, la survie globale du CTD RAIR a été estimée à 20-30 % à 10 ans. Elle n’était que de 10% chez les patients progressifs avec une espérance de vie moyenne entre 3 et 5 ans après le diagnostic de l’état réfractaire. Les résultats de l’étude PRONOSThyC menée récemment dans le cadre du réseau ENDOCAN TUTHYREF sont plus favorables retrouvant une survie de 74,8% à 5 ans et 48,1% à 10 ans et une survie médiane de 9,5 ans après le diagnostic de l’état réfractaire probablement du fait d’une amélioration des prises en charge [19].

Carcinome anaplasique de la thyroïde

Le carcinome anaplasique de la thyroïde (CTA) est l'une des tumeurs solides les plus agressives chez l'homme. Il se développe à partir des cellules folliculaires de la glande thyroïde, mais les cellules ne conservent aucune des caractéristiques biologiques ou des fonctions des cellules folliculaires normales, telles que la captation de l'iode, la synthèse de la thyroglobuline et la dépendance à l'égard de la TSH [20]. Le CTA peut résulter de la dédifférenciation d'un CTD ou apparaître de novo. L'évolution clinique du CTA se caractérise par une maladie locale agressive, une grande fréquence de métastases et majoritairement une issue fatale à court terme [21]. En raison de ces caractéristiques, tous les CTA sont considérés comme réfractaires.

L'incidence du CTA a diminué au fil du temps. Ainsi, en Italie, l'incidence du CTA est passée de 11 % à 5 % entre 1979 et 1989, avec des tendances similaires en France et dans la plupart des pays occidentaux [2,7]. Cette évolution a été interprétée comme la conséquence d'une meilleure prise en charge des cancers différenciés de la thyroïde et d’une amélioration du diagnostic histologique qui a permis de reclasser certains cas de CTA en lymphomes ou en CMT dédifférenciés. Des études récentes suggèrent une stabilisation de l'incidence [22].

Aujourd'hui, l'incidence du CTA est estimée à 1-2 cas par million d'habitants et par an aux USA [21-22] et représenterait 1-2% des cancers thyroïdiens en Europe du Sud [7] correspondant à 100-120 nouveaux cas chaque année en France. La plupart des patients atteints sont âgés de plus de 50 ans. Malgré sa faible incidence, le CTA est responsable de 14 à 39% des décès liés au carcinome thyroïdien. La survie médiane est de 5-6 mois [7, 21, 23]. Selon les données de la série Française du réseau TUTHYREF, les taux de survie à 6 mois, 1 an et 2 ans sont de 53.2% (47.9–58.3%), 32.7% (27.8–37.7%), et 20.3% (16.1–24.8%), respectivement [23].

Carcinome médullaire de la thyroïde

Les CMT ont la particularité d'être sporadiques dans 75% des cas et familiaux dans 25% en relation avec des mutations germinales du gène RET [24]. Les CMT représentent 2 à 3 % des CT chez les femmes et 4 à 5 % chez les hommes, avec une incidence estimée à 1 à 2 cas par million d’habitants [25]. Leur incidence est considérée comme relativement stable bien qu'une bien qu'une tendance à l’augmentation ait été rapportée aux USA entre 1983 et 2020 [26].

Le pronostic des CMT dépend fortement du stade de la tumeur au moment du diagnostic [27-30]. La survie globale à 10 ans est excellente de 95% chez les patients avec une maladie localisée [24]. Cependant, une extension ganglionnaire est présente au diagnostic chez 45% des patients et des métastases dans 10 % des cas [30].

Le pronostic de la maladie métastatique est considéré comme assez sombre avec une survie à 10 ans estimée autour de 20% [24]. Cependant, des résultats plus favorables sont rapportés dans les séries récentes, probablement du fait d’une meilleure prise en charge. Ainsi, dans l’étude PRONOMED conduite récemment par le Réseau TUTHYREF, à partir d’une cohorte de 355 patients métastatiques, la survie globale médiane est de 9.5 ans et les taux de survie de 69% à 5 ans, 48.5% à 10 ans et 40% à 15 ans (données brutes non publiées).

Par analogie avec les CTD, dont le pronostic se dégrade lorsqu’ils deviennent réfractaires, tous les CMT au stade métastatique sont considérés comme réfractaires. Le nombre de nouveaux cas annuels est estimé en France à 50-60. Le pronostic individuel reste difficile à établir car le comportement clinique de la maladie est très variable d'un patient à l'autre, certains patients métastatiques ayant un taux de croissance très lent contrastant avec une propagation tumorale rapide chez d'autres.

 

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