Les référentiels du réseau ENDOCAN-TUTHYREF sont conçus comme un guide destiné à l'ensemble des professionnels de santé et des parties prenantes impliquées dans le traitement des cancers réfractaires de la thyroïde, qui rassemblent le cancer différencié de souche vésiculaire non répondeur à l’iode radioactif, le cancer médullaire thyroïdien localement avancé ou métastatique et le cancer anaplasique de la thyroïde.

Ces référentiels, élaborés par des membres du réseau ENDOCAN-TUTHYREF, ont pour objectifs de fournir des lignes directrices claires et détaillées pour aborder les différents aspects de la prise en charge, depuis l'évaluation initiale jusqu'aux traitements des patients en stade avancé, en s'appuyant sur les dernières données scientifiques, les connaissances médicales des centres experts et les pratiques cliniques validées à ce jour.

Ils abordent différents points comme la fréquence des cancers réfractaires et les variétés histologiques à risque de devenir réfractaire, les anomalies génétiques à rechercher au stade de cancer réfractaire, ainsi que les stratégies thérapeutiques validées, incluant les inhibiteurs de tyrosine kinase, la radiothérapie et les autres traitements locorégionaux, ainsi que la place des interventions ou réinterventions chirurgicales.

Ces référentiels visent à harmoniser les pratiques, à optimiser les soins pour offrir une prise en charge personnalisée et adaptée à chaque patient, tout en assurant une gestion des effets indésirables et des situations à risque, et faciliter la prise de décision en RCP à l’échelle locale comme nationale.

1b. Quand considérer réfractaire à l'iode un cancer thyroïdien de souche folliculaire ?

Stéphane Bardet 


Il est essentiel d’identifier les patients réfractaires à l'iode, c'est-à-dire ceux qui ont une maladie localement avancée ou métastatique à distance pour lesquels l’iode 131(I131) n’est pas capable d’aboutir à une guérison.  Chez ces patients, il faut le plus souvent s’orienter vers d'autres options thérapeutiques.

En 2012, à une période où les inhibiteurs de kinases étaient testés dans le cadre d’essais thérapeutiques, les premières définitions des CTD réfractaires avaient été proposées [1]. La plupart de ces définitions ont été reprises dans la recommandation 91 des guidelines 2015 de l’ATA [2].

A ce jour, plusieurs catégories de patients réfractaires à l'iode sont identifiées :

1. Les patients métastatiques dont aucune des lésions ne captent pas l'I131 après administration d’une activité thérapeutique d’I131 ;

2. Les patients avec coexistence de lésions iodofixantes et non iodofixantes ;

3. Les patients métastatiques qui progressent dans les 12 mois suivant un traitement à l’I131 ;

4. Les patients avec une maladie localement avancée pour lesquels la thyroïdectomie, et par conséquent le traitement par I131, ne sont pas réalisables

5. Enfin, les patients non guéris après plusieurs traitements à l'I131 avec une activité cumulée importante (≥ 600 mCi/ 22,2 GBq), mais stables selon les critères RECIST. Ce cas de figure est le plus controversé et sera discuté ci-après.

Des débats ont eu cours ou subsistent autour des points suivants :

1 - L'absence de captage de l’iode doit-elle toujours être définie sur une scintigraphie post-thérapeutique ?

En raison d’un taux de comptage élevé, la scintigraphie post-thérapeutique du corps entier (CE) associée à une tomographie par émission monophotonique couplée à un scanner de repérage (TEMP/TDM ou SPECT/CT en anglais) est la méthode de choix pour détecter les lésions iodofixantes, ganglions ou métastases à distance [3]. La scintigraphie diagnostique combinant CE et TEMP/TDM (SPECT/CT) apparait plus sensible que la scintigraphie diagnostique CE [4], mais reste moins performante que la scintigraphie post-thérapeutique.  Cet examen est donc rarement utilisé dans la pratique clinique courante. Lorsque le taux de thyroglobuline (Tg) est élevé et que la scintigraphie diagnostique du CE est négative, la scintigraphie post-thérapeutique peut s’avérer positive [5].

Pour caractériser la maladie métastatique, la recommandation ATA 91 précise que l'absence de captation d’iode doit être déterminée sur la première scintigraphie post-thérapeutique du CE et non sur une scintigraphie diagnostique. Dans la recommandation R4 de l'ETA [7], pour les patients présentant des lésions radiologiquement prouvées, la maladie réfractaire est considérée quasi certaine en l'absence de captation sur la TEMP/TDM, réalisé après une activité élevée d’I131, une TSH élevée et un régime à faible teneur en iode. Ceci souligne l'importance de différents facteurs pouvant affecter les performances de la scintigraphie tels que les modalités de préparation (TSH recombinante ou sevrage hormonal), l'activité d’I131, le choix du traceur (I131, I123 ou I124) et la technique d'imagerie [8].

L’I131 peut être utilisé dans des situations particulières à visée palliative, sans l’ambition d’obtenir une rémission complète du cancer. Ces cas particuliers relèvent d’une discussion en RCP (régionale ou nationale) TUTHYREF.  

2 - Quelle est la pertinence clinique du seuil de 600 mCi (22,2 GBq) pour définir les patients réfractaires parmi ceux dont les lésions fixent encore l’I131?

Chez les patients avec une maladie iodofixante non guérie après plusieurs traitements, mais qui ne progresse pas selon les critères RECIST, un seuil d'activité cumulée de 600 mCi (22,2 GBq) a été proposé pour définir le caractère réfractaire à l’iode. Le choix de ce seuil est basé sur la faible probabilité d'obtenir une guérison [9], sur le constat d’un taux de récidive et mortalité plus important [10] et sur le risque d'effets secondaires au-delà de cette activité, notamment cancers secondaires et leucémies [11]. La décision de poursuivre le traitement par I131 doit prendre en compte plusieurs paramètres tels que l'âge, la différenciation tumorale, la masse tumorale, la réponse aux précédents traitements par I131 administrés, le captage de l’iode et du FDG, et d’éventuels effets secondaires. Ainsi, il est possible d’administrer plus de 600 mCi d'I131 à de jeunes patients porteurs de métastases iodofixantes sans complications significatives à long terme.

3 - Existe-t-il une indication d’irathérapie chez des patients présentant à la fois des lésions iodo- et non iodofixantes?

Malgré le manque de données, l’I131 peut être envisagé à visée palliative chez des patients sélectionnés présentant majoritairement des lésions iodofixantes. Si elles restent peu nombreuses les lésions non iodofixantes peuvent faire l’objet de traitements locaux.

4 - Existe-t-il des marqueurs de substitution pour la définition des patients réfractaires, notamment histologiques, métaboliques (TEP-FDG) ou moléculaires?

L'identification et la validation de marqueurs de substitution pour la maladie réfractaire pourraient permettre de s'affranchir de l'administration d’I131 chez les patients avec une maladie métastatique avancée et agressive, et de ne pas retarder la prise en charge. Plusieurs caractéristiques sont associées à la maladie réfractaire, notamment un âge avancé, une tumeur peu différenciée ou des sous-types histologiques agressifs [12], une masse tumorale importante [13], un temps de doublement du volume tumoral rapide [14], une fixation intense du FDG [15] et la présence des mutations somatiques, en particulier BRAF, TERTp [16]. Aucun de ces éléments pris isolément ne peut prédire l’avidité de l’I131 et son efficacité mais l’association de plusieurs de ces critères confère un risque élevé de maladie réfractaire et sont associés à un pronostic moins favorable.

Chez certains patients avec un CTD métastatique particulièrement agressif, et pour lesquels un traitement focal ou systémique apparait rapidement indiqué, les experts du réseau TUTHYREF proposent d’étendre la définition de statut réfractaire à une tumeur avec progression en < 6 mois et la présence d’au moins un critère parmi les suivants: masse tumorale importante,  cancer peu différencié ou de haut grade, présence d’une mutation BRAF V600E, lésions fortement hypermétaboliques en TEP-FDG.

Dans ces rares cas, l’I131 peut ne pas être administré en première intention afin de ne pas retarder le traitement systémique.

Références

            1.   M. Schlumberger, M. Brose, R. Elisei, S. Leboulleux, M. Luster, F. Pitoia, F. Pacini, Definition and management of radioactive iodine-refractory differentiated thyroid cancer. Lancet Diabetes Endocrinol 2, 356-358 (2014)

            2.   B.R. Haugen, E.K. Alexander, K.C. Bible, G.M. Doherty, S.J. Mandel, Y.E. Nikiforov, F. Pacini, G.W. Randolph, A.M. Sawka, M. Schlumberger, K.G. Schuff, S.I. Sherman, J.A. Sosa, D.L. Steward, R.M. Tuttle, L. Wartofsky, 2015 American Thyroid Association Management Guidelines for Adult Patients with Thyroid Nodules and Differentiated Thyroid Cancer: The American Thyroid Association Guidelines Task Force on Thyroid Nodules and Differentiated Thyroid Cancer. Thyroid 26, 1-133 (2016)

            3.   N. Aide, N. Heutte, J.P. Rame, E. Rousseau, C. Loiseau, M. Henry-Amar, S. Bardet, Clinical relevance of single-photon emission computed tomography/computed tomography of the neck and thorax in postablation (131)I scintigraphy for thyroid cancer. J Clin Endocrinol Metab 94, 2075-2084 (2009)

            4.   A.M. Avram, L.M. Fig, K.A. Frey, M.D. Gross, K.K. Wong, Preablation 131-I scans with SPECT/CT in postoperative thyroid cancer patients: what is the impact on staging? J Clin Endocrinol Metab 98, 1163-1171 (2013)

            5.   J.D. Pineda, T. Lee, K. Ain, J.C. Reynolds, J. Robbins, Iodine-131 therapy for thyroid cancer patients with elevated thyroglobulin and negative diagnostic scan. J Clin Endocrinol Metab 80, 1488-1492 (1995)

            6.   M.M. Sabra, R.K. Grewal, H. Tala, S.M. Larson, R.M. Tuttle, Clinical outcomes following empiric radioiodine therapy in patients with structurally identifiable metastatic follicular cell-derived thyroid carcinoma with negative diagnostic but positive post-therapy 131I whole-body scans. Thyroid 22, 877-883 (2012)

            7.   L. Fugazzola, R. Elisei, D. Fuhrer, B. Jarzab, S. Leboulleux, K. Newbold, J. Smit, 2019 European Thyroid Association Guidelines for the Treatment and Follow-Up of Advanced Radioiodine-Refractory Thyroid Cancer. Eur Thyroid J 8, 227-245 (2019)

            8.   D. Van Nostrand, Radioiodine Refractory Differentiated Thyroid Cancer: Time to Update the Classifications. Thyroid 28, 1083-1093 (2018)

            9.   C. Durante, N. Haddy, E. Baudin, S. Leboulleux, D. Hartl, J.P. Travagli, B. Caillou, M. Ricard, J.D. Lumbroso, F. de Vathaire, M. Schlumberger, Long-term outcome of 444 patients with distant metastases from papillary and follicular thyroid carcinoma: benefits and limits of radioiodine therapy. J Clin Endocrinol Metab 91, 2892-2899 (2006)

            10. Thies ED, Tanase K, Maeder U, Luster M, Buck AK, Hänscheid H, Reiners C, Verburg FA. The number of 131I therapy courses needed to achieve complete remission is an indicator of prognosis in patients with differentiated thyroid carcinoma. Eur J Nucl Med Mol Imaging 41:2281-2290 (2014)

            11.   C. Rubino, F. de Vathaire, M.E. Dottorini, P. Hall, C. Schvartz, J.E. Couette, M.G. Dondon, M.T. Abbas, C. Langlois, M. Schlumberger, Second primary malignancies in thyroid cancer patients. Br J Cancer 89, 1638-1644 (2003)

            12.   M. Rivera, R.A. Ghossein, H. Schoder, D. Gomez, S.M. Larson, R.M. Tuttle, Histopathologic characterization of radioactive iodine-refractory fluorodeoxyglucose-positron emission tomography-positive thyroid carcinoma. Cancer 113, 48-56 (2008)

            13.    R Ciappuccini, N Heutte, A Lasne-Cardon, V Saguet-Rysanek, C Leroy, V Le Hénaff , D Vaur, E Babin, S Bardet. Tumor burden of persistent disease in patients with differentiated thyroid cancer: correlation with postoperative risk-stratification and impact on outcome. BMC Cancer, 20, 765 (2020)

            14.   M.M. Sabra, E.J. Sherman, R.M. Tuttle, Tumor volume doubling time of pulmonary metastases predicts overall survival and can guide the initiation of multikinase inhibitor therapy in patients with metastatic, follicular cell-derived thyroid carcinoma. Cancer 123, 2955-2964 (2017)

            15.   R.J. Robbins, Q. Wan, R.K. Grewal, R. Reibke, M. Gonen, H.W. Strauss, R.M. Tuttle, W. Drucker, S.M. Larson, Real-time prognosis for metastatic thyroid carcinoma based on 2-[18F]fluoro-2-deoxy-D-glucose-positron emission tomography scanning. J Clin Endocrinol Metab 91, 498-505 (2006)

            16.   M. Melo, R.A. Gaspar da, R. Batista, J. Vinagre, M.J. Martins, G. Costa, C. Ribeiro, F. Carrilho, V. Leite, C. Lobo, J.M. Cameselle-Teijeiro, B. Cavadas, L. Pereira, M. Sobrinho-Simoes, P. Soares, TERT, BRAF, and NRAS in Primary Thyroid Cancer and Metastatic Disease. J Clin Endocrinol Metab 102, 1898-1907 (2017)