Les référentiels du réseau ENDOCAN-TUTHYREF sont conçus comme un guide destiné à l'ensemble des professionnels de santé et des parties prenantes impliquées dans le traitement des cancers réfractaires de la thyroïde, qui rassemblent le cancer différencié de souche vésiculaire non répondeur à l’iode radioactif, le cancer médullaire thyroïdien localement avancé ou métastatique et le cancer anaplasique de la thyroïde.

Ces référentiels, élaborés par des membres du réseau ENDOCAN-TUTHYREF, ont pour objectifs de fournir des lignes directrices claires et détaillées pour aborder les différents aspects de la prise en charge, depuis l'évaluation initiale jusqu'aux traitements des patients en stade avancé, en s'appuyant sur les dernières données scientifiques, les connaissances médicales des centres experts et les pratiques cliniques validées à ce jour.

Ils abordent différents points comme la fréquence des cancers réfractaires et les variétés histologiques à risque de devenir réfractaire, les anomalies génétiques à rechercher au stade de cancer réfractaire, ainsi que les stratégies thérapeutiques validées, incluant les inhibiteurs de tyrosine kinase, la radiothérapie et les autres traitements locorégionaux, ainsi que la place des interventions ou réinterventions chirurgicales.

Ces référentiels visent à harmoniser les pratiques, à optimiser les soins pour offrir une prise en charge personnalisée et adaptée à chaque patient, tout en assurant une gestion des effets indésirables et des situations à risque, et faciliter la prise de décision en RCP à l’échelle locale comme nationale.

2a. Quelles sont les anomalies génétiques somatiques à rechercher dans le cancer thyroïdien différencié, dans le cancer anaplasique ? Sur quel tissu, avec quelle technique et à quel moment ?

Livia Lamartina


Les anomalies moléculaires des cancers thyroïdiens de souche folliculaire ont été identifiées grâce à plusieurs études de séquençage à haut débit de l’ADN et de l’ARN tumoral. Les principales anomalies sont résumées dans le Tableau 2a-I [1,2].

     Anomalie moléculaire

Fréquence dans les cancers thyroïdiens différenciés

Fréquence dans les cancers thyroïdiens anaplasiques

Mutation BRAF V600E

40-65%

15 – 45%

Mutation N, H, K RAS

10 – 35%

24%

Fusion  RET

7-26%

<1%

Mutations promoteur de TERT

10%

75%

Fusion PAX8/PPRG

1-27%

<1%

Fusion NTRK

2-6%

1%

Fusion ALK

<1%

<1%

Mutation EIF1AX

2-3%

9%

Mutation PTEN

3-5%

15%

Mutation TP53

1%

73%

Tableau  2a-I. Fréquence des anomalies moléculaires dans les cancers thyroïdiens de souche folliculaire

La fréquence relative de certaines mutations peut varier selon le type histologique, l’âge au diagnostic, et dépend également de la population et de la région géographique. BRAF V600E est généralement la mutation plus fréquente dans les cancers papillaires de la thyroïde chez l’adulte, mais les fusions oncogéniques constituent l’anomalie génétique la plus fréquente en population pédiatrique [3]. La fréquence de la mutation BRAF V600E est, par ailleurs, très variable selon les populations pour un même type histologique. Pour le cancer anaplasique de la thyroïde par exemple, la fréquence de la mutation BRAF est d’environ 50% aux Etats-Unis et d’environ 15 à 27% en France [2,4].  

La connaissance du profil moléculaire du cancer peut avoir des implications thérapeutiques pour l’indication aux traitements ciblés sélectifs, mais aussi des implications pronostiques et prédictives de résistance ou de réponse aux traitements comme l’iode radioactif ou les inhibiteurs de kinase à action anti-angiogénique.

Quand et comment demander une analyse moléculaire ?

Il est souhaitable d’obtenir le profil moléculaire en cas de maladie réfractaire à l’iode car une altération moléculaire susceptible d’être ciblée par un inhibiteur sélectif va être identifiée dans environ 40% des cas. Pour les cancers différenciés de la thyroïde (hormis dans les cas nécessitant l’introduction un traitement systémique d’emblée), il possible d’attendre la progression de la maladie métastatique avant de demander la recherche du profil moléculaire.

En revanche, la recherche doit être faite en urgence pour les cancers anaplasiques de la thyroïde, déclenchée par l’anatomopathologiste au moment du diagnostic histologique sans attendre la demande du clinicien. 

Les anomalies moléculaires avec un possible impact thérapeutique (comme la mutation  BRAF ou les anomalies de RET) sont généralement des évènements précoces dans la cancérogenèse thyroïdienne et peuvent donc être recherchées à partir du tissu tumoral thyroïdien.

La recherche d’une mutation BRAF V600E est possible utilisant des anticorps spécifiques en immunohistochimie avec une très bonne concordance avec le séquençage à haut débit (NGS), un rendu de résultat dans les 48h et un coût limité.  Les techniques rapides de type PCR ciblé permettent d’obtenir le statut BRAF dans les 24 à 48h. La recherche de mutation BRAF par une méthode rapide (immunohistochimie ou PCR ciblé) est à réaliser pour tout nouveau diagnostic de carcinome anaplasique de la thyroïde.

Pour les autres altérations moléculaires, les techniques à privilégier sont le NGS pour l’ADN et l’ARN sur tissu ou l’analyse NGS de l’ADN tumoral circulant sur échantillon de sang (« biopsie liquide »), selon la disponibilité locale des techniques et des tissus. Dans le cas où les mutations les plus fréquentes BRAF, RAS sont absentes, dans les centres n’ayant pas accès à des panels NGS larges, ou selon l’avis de la RCP TUTHYREF, il est possible de demander un profil de séquençage de l’exome entier dans la cadre du Plan France Médecine Génomique.  

Des nouvelles recherches moléculaires peuvent être effectuées lors de la progression de la maladie sous traitement. Dans ce cas, l’objectif de l’analyse moléculaire est de rechercher des mutations de résistance à un traitement et l’analyse s’effectuera de préférence à partir d’une biopsie du site métastatique en progression. Une alternative est de réaliser cette analyse sur l’ADN tumoral circulant par biopsie liquide, selon la disponibilité locale de la technique.

Quelles anomalies génétiques somatiques rechercher ?  

  1. Les anomalies moléculaires pouvant conduire à une thérapie ciblée sont à rechercher en priorité.

     Anomalie moléculaire

Classe ESCAT ESMO 

Traitement ciblé

Niveau de preuve pour les cancers différenciés de la thyroïde

Niveau de preuve pour les cancers anaplasiques de la thyroïde

AMM européenne/

Remboursement HAS

Mutation  BRAF V600E

IC

Dabrafenib

(+ Trametinib)

Vemurafenib

(+ Cobimetinib)

Encorafenib

(+ Binimetinib)

Phase 2

Phase 2

Phase 2  

Phase 2 Basket

AMM pour le CTA

Pas de remboursement

Mutation NRAS

H RAS

KRAS G12C

III

Tipifarnib

Adagrasib, Sotorasib

Basket

-

-

-

Hors AMM

En cours d’investigation

Fusion       RET

IC

Selpercatinib

Pralsetinib

Phase 1/2 basket

Phase 1/2 basket

-

AMM

Pas de remboursement

Fusion      NTRK

IC

Larotrectinib

Entrectinib

Phase 1/2 basket

Phase 1/2 basket

Basket (nombre très limité de patients)

AMM

Pas de remboursement

Fusion      ALK

IIA

Crizotinib, Lorlatinib, Alectinib

Cas cliiques

Case reports

Hors AMM

Standard pour un      autre cancer

Mutation PTEN/ activation voie mTOR      

IIA

Everolimus

Phase 2

nombre très limité de patients

Hors AMM

TMB-H

(charge mutationnelle tumorale élevée), profil micro-satellitaire      instable (MSI)

IC

Immunothérapie (PD-1/PD-L1 checkpoint inhibitors)

Essais cliniques « Basket »      en cours

Phase 2

Essais cliniques  Basket en cours

Hors AMM

Pas de remboursement

Tableau 2a-II. Anomalies moléculaires à rechercher en cas de cancer thyroïdien réfractaire

  1. Les mutations avec possible impact prédictif sur la réponse à un traitement peuvent permettre aux patients d’accéder à des essais thérapeutiques

La recherche de la charge mutationnelle tumorale est recommandée par l’ESMO comme facteur prédictif de réponse à l’immunothérapie [5].

  1. Les mutations avec possible impact pronostique peuvent être recherchées, actuellement, plutôt à but de recherche scientifique

La mutation du promoteur de TERT est associée à un mauvais pronostic vital pour les cancers différenciés [6] mais aussi pour les cancers anaplasiques [7]. Plusieurs autres événements moléculaires dits « tardifs » (pour exemple TP53, PIK3A, etc) sont associés aux formes plus agressives de cancer thyroïdien et à un mauvais pronostic [2].   

La présence de plusieurs « drivers » oncogéniques est fréquente dans les types histologiques de cancer plus agressifs comme les cancers peu différenciés et les cancers anaplasiques [2]. Parmi les cancers folliculaires, la présence de plus d’un driver moléculaire est associé à un plus mauvais pronostic [8].

Références

1. Cancer Genome Atlas Research Network. Integrated genomic characterization of papillary thyroid carcinoma. Cell. 23 oct 2014;159(3):676‑90.

2. Landa I, Ibrahimpasic T, Boucai L, Sinha R, Knauf JA, Shah RH, et al. Genomic and transcriptomic hallmarks of poorly differentiated and anaplastic thyroid cancers. J Clin Invest. 1 mars 2016;126(3):1052‑66.

3. de la Fouchardière C, Wassermann J, Calcagno F, Bardet S, Al Ghuzlan A, Borget I, et al. Génotypage moléculaire dans les cancers réfractaires de la thyroïde en 2021 : quand, comment, et pourquoi ? Un travail du réseau TUTHYREF. Bull Cancer (Paris). 1 nov 2021;108(11):1044‑56.

4. Bonhomme B, Godbert Y, Perot G, Al Ghuzlan A, Bardet S, Belleannée G, et al. Molecular Pathology of Anaplastic Thyroid Carcinomas: A Retrospective Study of 144 Cases. Thyroid Off J Am Thyroid Assoc. mai 2017;27(5):682‑92.

5. Mosele F, Remon J, Mateo J, Westphalen CB, Barlesi F, Lolkema MP, et al. Recommendations for the use of next-generation sequencing (NGS) for patients with metastatic cancers: a report from the ESMO Precision Medicine Working Group. Ann Oncol. 1 nov 2020;31(11):1491‑505.

6. Liu J, Liu R, Shen X, Zhu G, Li B, Xing M. The Genetic Duet of BRAF V600E and TERT Promoter Mutations Robustly Predicts Loss of Radioiodine Avidity in Recurrent Papillary Thyroid Cancer. J Nucl Med Off Publ Soc Nucl Med. févr 2020;61(2):177‑82.

7. Xu B, Fuchs T, Dogan S, Landa I, Katabi N, Fagin JA, et al. Dissecting Anaplastic Thyroid Carcinoma: A Comprehensive Clinical, Histologic, Immunophenotypic, and Molecular Study of 360 Cases. Thyroid Off J Am Thyroid Assoc. oct 2020;30(10):1505‑17.

8. Nicolson NG, Murtha TD, Dong W, Paulsson JO, Choi J, Barbieri AL, et al. Comprehensive Genetic Analysis of Follicular Thyroid Carcinoma Predicts Prognosis Independent of Histology. J Clin Endocrinol Metab. 1 juill 2018;103(7):2640‑50.