Les référentiels du réseau ENDOCAN-TUTHYREF sont conçus comme un guide destiné à l'ensemble des professionnels de santé et des parties prenantes impliquées dans le traitement des cancers réfractaires de la thyroïde, qui rassemblent le cancer différencié de souche vésiculaire non répondeur à l’iode radioactif, le cancer médullaire thyroïdien localement avancé ou métastatique et le cancer anaplasique de la thyroïde.

Ces référentiels, élaborés par des membres du réseau ENDOCAN-TUTHYREF, ont pour objectifs de fournir des lignes directrices claires et détaillées pour aborder les différents aspects de la prise en charge, depuis l'évaluation initiale jusqu'aux traitements des patients en stade avancé, en s'appuyant sur les dernières données scientifiques, les connaissances médicales des centres experts et les pratiques cliniques validées à ce jour.

Ils abordent différents points comme la fréquence des cancers réfractaires et les variétés histologiques à risque de devenir réfractaire, les anomalies génétiques à rechercher au stade de cancer réfractaire, ainsi que les stratégies thérapeutiques validées, incluant les inhibiteurs de tyrosine kinase, la radiothérapie et les autres traitements locorégionaux, ainsi que la place des interventions ou réinterventions chirurgicales.

Ces référentiels visent à harmoniser les pratiques, à optimiser les soins pour offrir une prise en charge personnalisée et adaptée à chaque patient, tout en assurant une gestion des effets indésirables et des situations à risque, et faciliter la prise de décision en RCP à l’échelle locale comme nationale.

 2b.   Quelles sont les anomalies génétiques somatiques à rechercher dans le carcinome médullaire ?

Hélène Lasolle


Le rôle majeur du protooncogène RET dans la tumorigénèse du CMT a très tôt été identifié [1]. Situé au niveau du chromosome 10 (10q11.2) et comprenant 21 exons, il code pour un récepteur transmembranaire à tyrosine kinase dont l’activation entraîne la surexpression de plusieurs voies de signalisation, dont la voie des MAPK et PI3K, conférant à la cellule des capacités de survie, prolifération, migration et angiogénèse.

La présence de mutations ponctuelles pathogènes entraînant une activation excessive du récepteur, dont l’intensité varie selon les variants, est retrouvée au niveau germinal dans 25% des CMT environ, s’intégrant alors dans une Néoplasie Endocrinienne Multiple de type 2. Ces mutations concernent particulièrement les domaines riches en cystéine ou tyrosine des exons 8, 10, 11, 13, 14, 15 et 16, et seront systématiquement recherchées en cas de diagnostic de CMT.

En l’absence de mutation germinale du gène RET, on peut identifier des mutations du gène RET au niveau somatique dans 50-60% environ des CMT sporadiques [2-4]. La mutation M918T (exon 16) est la plus fréquemment retrouvée, elle s’associe à une agressivité accrue et concerne environ 70% des CMT sporadiques métastatiques et une minorité de microcarcinomes [5].

Environ 20% des CMT sporadiques (60% des CMT RET sauvage) présentent des mutations des gènes RAS (particulièrement HRAS et KRAS), qui pourraient s’associer à un phénotype moins agressif [2,6-7]. Ces mutations sont presque toujours mutuellement exclusives des mutations de RET.

D’autres mutations récurrentes sont décrites à des fréquences beaucoup plus faibles impliquant les gènes MET, FGFR, PDGFR. Des cas exceptionnels de fusion ALK ont été décrits [8].

Dans une publication récente ayant analysé 181 CMT sporadiques en technique NGS, plus de 80 % des tumeurs avaient une altération moléculaire, représentées principalement par des mutations ponctuelles des gènes RET ou RAS [2].

Les objectifs de la recherche d’anomalies moléculaires somatiques en routine clinique sont principalement d’orienter la prise en charge thérapeutique en prédisant la réponse éventuelle à des thérapies systémiques ciblées, ainsi que comprendre la cause de l’échec ou l’échappement à une thérapeutique.

Dans ce contexte, la recherche de mutations ciblables est indiquée en cas de carcinome localement avancé non opérable, ou métastatique progressif avec discussion de traitement systémique, ou en échec de thérapie systémique ciblant RET.

En première intention, elle concernera la recherche de mutation somatique de RET en l’absence de mutation germinale, pouvant amener à la prescription d’inhibiteurs multikinase ciblant RET validés dans le CMT (comme le vandetanib) ou d’inhibiteurs spécifiques de RET (selpercatinib) (cf chapitre 5c) [9].

Une technique de séquençage de type NGS est recommandée et permettra une analyse plus large du gène et des différentes mutations possibles. L’objectif étant la recherche de mutations ponctuelles plutôt que gènes de fusion, un séquençage d’ADN pourra être proposé en première intention, et cibler dans un premier temps les exons les plus fréquemment touchés (https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2022-07/synthese_acte_associe_retsevmo_et_alterations_gene_ret_vd.pdf). En l’absence d’accès, des techniques plus ciblées de type PCR en temps réel peuvent être envisagées [1,10]. Toutes ces analyses moléculaires sont réalisables sur matériel congelé, ou fixé au formol et inclus en paraffine (FFPE). Aucune technique in situ de type IHC n’est validée pour la recherche de ces mutations.

En l’absence de mutation RET, la recherche de mutation RAS pourra se discuter dans le cadre du développement actuel de thérapies ciblant ces mutations en cours d’évaluation mais sans indication validée dans le CMT pour l’heure.

Les cas de progression au cours d’un traitement ciblant RET peuvent être secondaires au développement de mutations de résistance, dont l’identification peut guider la ligne thérapeutique ultérieure [11]. Certaines mutations confèrent une résistance primaire à des médicaments. Ainsi, la mutation V804L/M « gatekeeper » bloquant l’accès de la molécule à son site de liaison, peut expliquer un échec du vandetanib. Cette mutation n’altère cependant pas l’efficacité des inhibiteurs spécifiques de RET comme le selpercatinib contrairement à d’autres mutations de résistance du gène RET (in target) (L730I, G810S..) ou plus souvent d’autres mutations ou mécanismes alternatifs (amplification de MET, NTRK, RAS...) qui peuvent expliquer un échappement au traitement. Des inhibiteurs de RET de 2° génération sont en développement pour cibler les mutations de résistance « in target » [12]. En cas de progression sous inhibiteur de RET, un nouveau prélèvement de matériel tumoral des lésions progressives sera nécessaire, d’autant que le profil mutationnel peut différer selon le site [13]. En l’absence de lésion accessible, un séquençage  d’ADN tumoral circulant peut être envisagé. Les données concernant les performances des biopsies liquides dans les CMT sont encore limitées mais encourageantes comme rapporté dans une série récente dans laquelle 12 patients ont été analysés par biopsie liquide après progression sous inhibiteurs de RET [14-16]       .

A l’heure actuelle en France, les CMT avec indication de traitement systémique en l’absence de mutation somatique RET ou RAS, et en l’absence de mutation germinale RET, ou avec mutation RET et progression sous anti RET, donnent accès à un séquençage large grâce au plan France Médecine génomique. Cette analyse nécessite une validation préalable de l’indication en RCP dédiée du réseau ENDOCAN-TUTHYREF, et la présence de matériel tumoral congelé en quantité suffisante (https://pfmg2025.aviesan.fr /professionnels/preindications-et-mise-en-place/tumeurs-de-la-thyroide-refractaire/). Depuis octobre 2023, les analyses sont possibles sur les blocs FFPE récents.

Ces techniques permettent notamment la mise en évidence de mutations rares ciblables et l’évaluation de la charge mutationnelle (TMB), pouvant prédire la réponse à l’immunothérapie, dans le cadre d’essais thérapeutiques.

Références

1.         Salvatore D, Santoro M, Schlumberger M. The importance of the RET gene in thyroid cancer and therapeutic implications. Nat Rev Endocrinol. 2021;17:296-306. doi:10.1038/s41574-021-00470-9

2.         Ciampi R, Romei C, Ramone T, Prete A, Tacito A , Cappagli V et al. Genetic Landscape of Somatic Mutations in a Large Cohort of Sporadic Medullary Thyroid Carcinomas Studied by Next-Generation Targeted Sequencing. iScience. 2019;20:324-36. doi:10.1016/j.isci.2019.09.030

3.         Elisei R, Cosci B, Romei C, Bottici V, Renzini G, Molinaro E,  et al. Prognostic significance of somatic RET oncogene mutations in sporadic medullary thyroid cancer: a 10-year follow-up study. J Clin Endocrinol Metab. 2008;93:682-7. doi:10.1210/jc.2007-1714

4.         Xu B, Viswanathan K, Ahadi MS, Ahmadi S, Alzumaili B,  Bani  MA et al. Association of the Genomic Profile of Medullary Thyroid Carcinoma with Tumor Characteristics and Clinical Outcomes in an International Multicenter Study. Thyroid. Published online October 16, 2023. doi:10.1089/thy.2023.027

5.         Hadoux J, Elisei R, Brose MS,  O Hoff A, Robinson BG, Gao M et al. Phase 3 trial of selpercatinib in advanced RET-mutant medullary thyroid cancer. N Engl J Med 2023; 389:1851-61. DOI: 10.1056/NEJMoa2309719.

6.         Vuong HG, Odate T, Ngo HTT, Pham TQ, Tran TTK, Mochizuki K et al. Clinical significance of RET and RAS mutations in sporadic medullary thyroid carcinoma: a meta-analysis. Endocr Relat Cancer. 2018;25:633-41. doi:10.1530/ERC-18-0056

7.         Boichard A, Croux L, Al Ghuzlan A, Broutin S, Dupuy C, Leboulleux S et al. Somatic RAS mutations occur in a large proportion of sporadic RET-negative medullary thyroid carcinomas and extend to a previously unidentified exon. J Clin Endocrinol Metab. 2012;97:E2031-35. doi:10.1210/jc.2012-2092

8.         Ji JH, Oh YL, Hong M,  Yun JW, Lee H-W, Kim D et al. Identification of Driving ALK Fusion Genes and Genomic Landscape of Medullary Thyroid Cancer. PLoS Genet. 2015;11:e1005467. doi:10.1371/journal.pgen.1005467

9.         Haddad RI, Bischoff L, Ball D, Bernet V, Blomain E, Busaidy NL et al. Thyroid Carcinoma, Version 2.2022, NCCN Clinical Practice Guidelines in Oncology. J Natl Compr Canc Netw. 2022;20:925-51. doi:10.6004/jnccn.2022.0040

10.       de la Fouchardière C, Wassermann J, Calcagno F, Bardet S, Al Ghuzlan A,  Borget I et al. [Molecular genotyping in refractory thyroid cancers in 2021: When, how and why? A review from the TUTHYREF network]. Bull Cancer. 2021;108:1044-56. doi:10.1016/j.bulcan.2021.06.009

11.       Liu X, Shen T, Mooers BHM, Hilberg F, Wu J. Drug resistance profiles of mutations in the RET kinase domain. Br J Pharmacol. 2018;175:3504-15. doi:10.1111/bph.14395

12.       Subbiah V, Shen T, Terzyan SS,  Liu X Hu X Patel KP  et al. Structural basis of acquired resistance to selpercatinib and pralsetinib mediated by non-gatekeeper RET mutations. Ann Oncol. 2021;32:261-8. doi:10.1016/j.annonc.2020.10.599

13.       Romei C, Ciampi R, Casella F, TacitoTorregrossa L, Ugolini C et al. RET mutation heterogeneity in primary advanced medullary thyroid cancers and their metastases. Oncotarget. 2018;9:9875-84. doi:10.18632/oncotarget.23986

14.       Cote GJ, Evers C, Hu MI, Grubbs EG, Williams MD, Hai T et al. Prognostic Significance of Circulating RET M918T Mutated Tumor DNA in Patients With Advanced Medullary Thyroid Carcinoma. J Clin Endocrinol Metab. 2017;102:3591-9. doi:10.1210/jc.2017-01039

15.       Ciampi R, Romei C, Ramone T,  Matrone A Prete A, Gambale C et al. Pre- and Post-operative Circulating Tumoral DNA in Patients With Medullary Thyroid Carcinoma. J Clin Endocrinol Metab. 2022;107:e3420-7. doi:10.1210/clinem/dgac222

16        Hadoux J, Al Ghuzlan A , Lamartina L , Bani M-A, Moog S , Attard M et al. Patterns of Treatment Failure After Selective Rearranged During Transfection (RET) Inhibitors in Patients With Metastatic Medullary Thyroid Carcinoma. JCO Precis Oncol  2023 : 7:e2300053. doi: 10.1200/PO.23.00053