Les référentiels du réseau ENDOCAN-TUTHYREF sont conçus comme un guide destiné à l'ensemble des professionnels de santé et des parties prenantes impliquées dans le traitement des cancers réfractaires de la thyroïde, qui rassemblent le cancer différencié de souche vésiculaire non répondeur à l’iode radioactif, le cancer médullaire thyroïdien localement avancé ou métastatique et le cancer anaplasique de la thyroïde.

Ces référentiels, élaborés par des membres du réseau ENDOCAN-TUTHYREF, ont pour objectifs de fournir des lignes directrices claires et détaillées pour aborder les différents aspects de la prise en charge, depuis l'évaluation initiale jusqu'aux traitements des patients en stade avancé, en s'appuyant sur les dernières données scientifiques, les connaissances médicales des centres experts et les pratiques cliniques validées à ce jour.

Ils abordent différents points comme la fréquence des cancers réfractaires et les variétés histologiques à risque de devenir réfractaire, les anomalies génétiques à rechercher au stade de cancer réfractaire, ainsi que les stratégies thérapeutiques validées, incluant les inhibiteurs de tyrosine kinase, la radiothérapie et les autres traitements locorégionaux, ainsi que la place des interventions ou réinterventions chirurgicales.

Ces référentiels visent à harmoniser les pratiques, à optimiser les soins pour offrir une prise en charge personnalisée et adaptée à chaque patient, tout en assurant une gestion des effets indésirables et des situations à risque, et faciliter la prise de décision en RCP à l’échelle locale comme nationale.

3b. Comment préparer un patient à recevoir un traitement par inhibiteurs de tyrosine kinase ?

Johanna Wassermann, Laurence Leenhardt, Camille Buffet


Lorsqu’une indication d’IMK est posée (cf chapitre 3a), il faut, bien entendu, s’assurer de l’absence de contre-indications absolue ou relative au traitement qu’elles soient liées à l’état général du patient, ses comorbidités ou à la présence de localisations tumorales à risque de complications aiguës (cf chapitre 5d).
Les thérapies ciblées à type d’inhibiteurs de tyrosine kinase (ITK), en particulier celles à activité anti-angiogéniques, sont associées à différentes toxicités [1]. Des recommandations spécifiques ont été publiées [2-4], visant à optimiser la préparation du patient au traitement par thérapie ciblée dans le but de diminuer l’incidence et la sévérité des effets indésirables. Ces recommandations sont une synthèse de revue de la littérature mais reflètent également des habitudes d’experts.
Une évaluation soigneuse de l’état clinique et physiologique du patient avant l’introduction du traitement est une des étapes les plus importantes. Une prise en charge multidisciplinaire est requise, impliquant de nombreux professionnels tels que les oncologues, endocrinologues, cardiologues, néphrologues, diététiciennes, infirmières de coordination ou de pratique avancée, avant même l’introduction du traitement. La qualité de vie, l’état psychologique et la situation sociale doivent être évaluées. Un bon état général (ECOG 0 or 1) et l’absence de symptômes sont associés à un meilleur pronostic et à une incidence moindre de toxicité. Les comorbidités et traitements associés doivent être soigneusement analysés. L’éducation thérapeutique du patient à la prévention et à la gestion des principales toxicités est fortement encouragée. L’objectif de la préparation optimale avant initiation du traitement est de prévenir les toxicités cardiovasculaires, rénales et/ou digestives, mais également de prévenir la perte de poids, la sarcopénie et les toxicités dermatologiques (Cf chapitre 5b, Tableau 5b-I).
Avant l’introduction du traitement, une évaluation de différents paramètres cliniques et biologiques devront être faits, incluant un électrocardiogramme, une échographie cardiaque, une mesure de la pression artérielle, un ionogramme sanguin complet (incluant calcémie, albumine, natrémie, kaliémie, créatinine), un bilan hépatique, un calcul du ratio protéinurie/créatininurie sur échantillon urinaire.

Prévention et gestion des toxicités cardiovasculaires
L’hypertension artérielle (HTA) est l’effet indésirable le plus fréquent des ITK anti-angiogéniques. L’HTA est définie [5] par une pression artérielle (PA) systolique ≥ 140 mmHg et/ou diastolique ≥ 90 mmHg mesurée en consultation et persistante dans le temps.
L’évaluation pré-thérapeutique doit inclure un examen clinique, une mesure de la PA (auto-mesure et/ou mesure ambulatoire [5]. Tous les patients doivent être éduqués à l’automesure de la tension artérielle durant le traitement (plusieurs applications gratuites sont disponibles sur internet pour aider au monitorage). Un éventuel traitement antihypertenseur préalable est ajusté. Des règles hygiéno-diététiques, une activité physique adaptée au statut OMS et un ou des traitements antihypertenseurs sont prescrits en cas d’HTA documentée [5]. L’introduction ou l’adaptation de la dose du traitement anti-HTA peut être discuté en même temps que la prescription d’un traitement anti VEGF chez des patients à risque de déséquilibre tensionnel.
Les patients à risque d’insuffisance cardiaque doivent être identifiés bien en amont de l’initiation d’un ITK, à l’aide d’une évaluation conjointe cardiologique. Une échographie cardiaque est souhaitable avant l’introduction du traitement anti VEGF pour évaluer la fraction d’éjection ventriculaire gauche et doit être systématique en cas de suspicion clinique d’insuffisance cardiaque. .
Un ECG pré-thérapeutique est recommandé pour vérifier l’absence d’allongement de l’intervalle QT. Un QT corrigé > 500 msec contre-indique l’initiation de l’ITK. Les traitements pouvant entrainer un allongement du QT doivent être arrêtées dans la mesure du possible (anti-arythmique comme l’amiodarone, la quinidine, la disopyramide ou le sotalol mais aussi les traitements antiémétiques, antipsychotiques ou antidépresseurs).

Prévention et gestion de la toxicité rénale
La toxicité rénale se manifeste généralement par une protéinurie et/ou une HTA. Le dépistage de la protéinurie avant introduction d’un ITK est effectué par bandelette urinaire ainsi que l’évaluation de la fonction rénale. Les bandelettes urinaires détectent uniquement la présence d’albumine de façon semi-quantitative (+ : 0.3 g/L, ++ : 1 g/L, +++ : 3 g/L). En cas d’anomalie d’une évaluation du ratio albuminurie/créatininurie ou protéinurie/ créatininurie sur échantillon urinaire idéalement sur les urines des 24 heures, est recommandé
La protéinurie peut être diminuée significativement par une limitation des apports sodés et l’introduction d’inhibiteurs de l’enzyme de conversion ou antagonistes des récepteurs de l'angiotensine, en vérifiant l’absence d’hyperkaliémie et la fonction rénale, 1-2 semaines après leur introduction.

Prévention de la dénutrition
Une diminution de l’appétit, de la diarrhée et/ou des nausées-vomissements sont des effets indésirables fréquents sous ITK. Le statut nutritionnel et les apports alimentaires doivent être évalués avant leur introduction [6]. Le poids, l’indice de masse corporel et le dosage d’albuminémie sont des paramètres nutritionnels clés.

Prévention des toxicités dermatologiques
La détection de lésions kératosiques palmo-plantaires est recommandée avant introduction d’un ITK. La prévention consiste à maintenir un niveau d'hydratation cutanée adéquat (bonne hydratation globale, crèmes émollientes sans alcool). Il faut également conseiller aux patients d’éviter l’exposition solaire, et d'utiliser des écrans solaires d'indice au minimum +50.

Pour des situations spécifiques : patients âgés, insuffisance rénale / hépatique, se rapporter au paragraphe 5d.

Enfin, les résultats de l’évaluation initiale avant introduction d’ITK doivent être transmis au médecin généraliste qui doit être informé également des principaux effets indésirables. Idéalement un carnet de suivi sous ITK doit être remis au patient pour faciliter la gestion des toxicités entre les différents professionnels de santé amenés à prendre en charge le patient.

Des fiches d’information pour les patients et les médecins concernant les principaux traitements systémiques ont été rédigées par la société française de pharmacie oncologique et sont disponibles sur le site suivant https://oncolien.sfpo.com/, ainsi que sur le site du réseau TUTHYREF: https://www.tuthyref.com/fr/patient-famille/fiches-des-medicaments

Références

[1] Haddad RI, Schlumberger M, Wirth LJ, Sherman EJ, Shah MH, Robinson B et al. Incidence and timing of common adverse events in Lenvatinib-treated patients from the SELECT trial and their association with survival outcomes. Endocrine 2017;56:121-128. https://doi.org/10.1007/s12020-017-1233-5
[2] Capdevila J, Newbold K, Licitra L, Popovtzer A, Moreso F, Zamorano J et al. Optimisation of treatment with lenvatinib in radioactive iodine-refractory differentiated thyroid cancer. Cancer Treat Rev 2018;69:164-176. https://doi.org/10.1016/j.ctrv.2018.06.019
[3] Resteghini C, Cavalieri S, Galbiati D, Granata R, Alfieri S, Bergamini C et al. Management of tyrosine kinase inhibitors (TKI) side effects in differentiated and medullary thyroid cancer patients. Best Pract Res Clin Endocrinol Metab 2017;31:349-361. https://doi.org/10.1016/j.beem.2017.04.012
[4] Wassermann J, Bagnis CI, Leenhardt L, Ederhy S,Buffet C. Pre-therapeutic evaluation and practical management of cardiovascular and renal toxicities in patients with metastatic radioiodine-refractory thyroid cancer treated with lenvatinib. Expert Opin Drug Saf 2022;21:1401-1410. https://doi.org/10.1080/14740338.2022.2153115
[5] Williams B, Mancia G, Spiering W, Agabiti Rosei E, Azizi M, Burnier M et al. 2018 ESC/ESH Guidelines for the management of arterial hypertension. Eur Heart J 2018;39:3021-3104. https://doi.org/10.1093/eurheartj/ehy339
[6] Raynaud-Simon A, Revel-Delhom C, Hebuterne X, French N,Health Program FHHA. Clinical practice guidelines from the French Health High Authority: nutritional support strategy in protein-energy malnutrition in the elderly. Clin Nutr 2011;30:312-9. https://doi.org/10.1016/j.clnu.2010.12.003