4b. Traitements validés des carcinomes anaplasiques de la thyroïde
Arnaud Jannin et Christine Do Cao
Le patient suspect ou atteint de carcinome anaplasique de la thyroïde (CTA) sur la base d’une biopsie tumorale doit être pris en charge sans délai car la mise en place d’un plan de soin rapide est associé à un meilleur pronostic [1–4]. Dès le diagnostic de CTA porté, une évaluation multidisciplinaire faisant appel aux spécialistes référents du patient, à l’équipe des soins de support et si besoin à un oncogériatre doit permettre de prendre en compte l’étendue de la maladie, les comorbidités, l’état général du patient ainsi que ses souhaits. Le dossier sera ensuite rapidement présenté en réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP) régionale ou nationale du réseau ENDOCAN-TUTHYREF (https://www.tuthyref.com/fr/tumeurs-de-la-thyroide-refractaires/rcp-regionales-endocan-tuthyref). De cette manière, on pourra donner au patient et à ses proches une information réaliste du pronostic et établir soit une stratégie de traitement actif adossé à des soins de support ou conseiller un accompagnement palliatif exclusif d’emblée.
Une fois cette mise au point réalisée, si les traitements oncologiques sont à mettre en œuvre, ils doivent être multimodaux, réalisés dans un centre spécialisé, reposant sur une chimiothérapie ou une thérapie ciblée première associée à de la radiothérapie externe (dose intensité > 50-60 Gy) et, éventuellement à une chirurgie d’exérèse dans un second temps lorsque cette dernière devient possible. Exceptionnellement, une chirurgie première a conduit au diagnostic du CTA. Ces cas opérables sont associés à un meilleur pronostic.
En pratique, pour permettre ce choix thérapeutique, il faut demander en urgence une analyse immunohistochimique de BRAF sur la pièce de biopsie tumorale.
En cas de mutation BRAF (un résultat qui sera à confirmer secondairement par un génotypage en NGS), un traitement associant dabrafenib (inhibiteur de BRAF) et trametinib (inhibiteur de MEK) est indiqué. Cette combinaison thérapeutique permet d’obtenir un taux de réponse objective de 56% (IC95% : 38.1-72.1%) avec une survie sans progression de 6.7 mois et une survie globale de 14.5 mois avec un profil de toxicité acceptable [5–7]. Ce traitement est validé dans les recommandations de l’American Thyroid Association 2021 et a été approuvé par la FDA (Food and Drug Administration) mais il ne dispose pas en France d’AMM pour le cancer de la thyroïde [5]. L’efficacité de la double thérapie ciblée doit être évaluée régulièrement après 4 à 6 semaines de traitement sur le plan clinique et en imagerie. En cas de réponse objective, la chirurgie doit être rediscutée. Si la chirurgie a pu être réalisée, on reprendra le traitement par inhibiteurs de BRAF suivie d’une radiothérapie. En l’absence de prise en charge chirurgicale possible, on poursuivra le traitement jusqu’à progression en y associant un traitement par radiothérapie concomitant. L’association d’une immunothérapie avec un traitement par dabrafenib-trametinib a montré des résultats intéressants et pourra être discutée au cas par cas en RCP ENDOCAN TUTHYREF pour un accès compassionnel [8].
En l’absence de mutation BRAF, une première ligne de chimiothérapie systémique intraveineuse sera débutée rapidement dans un schéma séquentiel associant la radiothérapie externe cervicale ou parfois de manière concomitante (tableau 4b-I), selon l'état général du patient et les comorbidités. Le protocole de chimiothérapie comporte de la doxorubicine ou des taxanes (paclitaxel, docetaxel) associées à un sel de platine [5,9]. Cette combinaison de traitement ne donne toutefois que des réponses tumorales modestes et de courte durée. Il est difficile de définir l’efficacité de la chimiothérapie devant le faible niveau de preuve des études présentes dans la littérature. Néanmoins, on considère que les taux de réponse objective à la chimiothérapie se situent entre 4% et 53% avec une survie globale de 6 à 12 mois selon les séries, en fonction des protocoles utilisés [5]. L’ensemble des protocoles utilisés sont repris dans le Tableau 4b-I. En cas de traitement séquentiel de radio-chimiothérapie, la chimiothérapie doit être reprise dans les 2 à 4 semaines jours après la dernière séance de radiothérapie. Si chimiothérapie et chirurgie ne sont pas envisageables, il faut prévoir une irradiation externe de la masse cervicale dans les meilleurs délais.
Selon les anomalies moléculaires mises en évidence (fusion RET, NTRK, ou ALK …), on pourra discuter de l’introduction d’une thérapie ciblée permettant de bloquer spécifiquement ces voies oncogéniques. Même si ces traitements ciblés apparaissent actifs et efficaces dans les cas cliniques rapportés, ils n’ont pas d’AMM et/ou de remboursement dans cette indication par défaut d’étude clinique d’envergure, et ne sont pour le moment accessibles que via des essais cliniques. Ces traitements personnalisés sont néanmoins porteurs d’un grand espoir pour améliorer la survie de ces patients ultra sélectionnés.
Le lenvatinib, un inhibiteur multi kinase antiangiogénique, a été évalué dans deux essais de phase II chez des patients atteints de CTA. Une méta-analyse rapporte un taux de RO, de stabilité et de bénéfice clinique (RO + stabilité) dans respectivement 15 %, 42 % et 63 % des cas, suggérant une certaine activité antitumorale du lenvatinib dans la prise en charge du CTA [10]. Cette thérapie ciblée induit néanmoins chez ces patients fragiles un sur-risque de fistule trachéale en zone irradiée. Par ailleurs, cette méta-analyse n’indiquait pas de bénéfice en survie globale (de l’ordre de 3 mois en moyenne) sous lenvatinib en monothérapie. L’efficacité de cette classe de molécule demeure limitée sauf éventuellement dans des formes mixtes de CTA associant un contingent différencié et un contingent indifférencié [11].
L’immunothérapie en monothérapie ou en association est en cours d’évaluation dans les CTA mais actuellement aucun médicament n’a été approuvé dans cette indication malgré des premiers résultats très encourageants. Le spartalizumab, un anticorps monoclonal anti-PD-1, a montré des résultats intéressants chez 42 patients suivis pour un CTA dans un essai de phase II, avec un taux de réponse de 19%, surtout chez les patients avec score TPS PD-L1 > 50% (taux de réponse de 35%)[12] ainsi que dans d’autres études [4,13]. D’autres essais ont été menés avec le pembrolizumbab, l’atezolizumab, et le durvalumab[13–17] et de nouveaux protocoles d’immunothérapie sont susceptibles d’être développés chez les patients atteints de CTA. L’accès à ce type de traitement est actuellement difficile et repose sur des accords de prise en charge compassionnelle.
La combinaison d’un inhibiteur de tyrosine kinase ou d’une thérapie ciblée (anti BRAF et anti MEK notamment) à une immunothérapie est également une piste thérapeutique à explorer [8,15,18]. Elle est positionnée en traitement standard de première ligne par les oncologues référents du MD Anderson [8,19].
En cas d’impasse thérapeutique, on pourra également proposer des essais de phase précoce si l’état général du patient le permet.
Tableau 4b-I. Protocoles thérapeutiques dans les carcinomes anaplasiques de la thyroïde
Traitement | Protocoles et dose |
Chimiothérapie | Toutes les 3-4 semaines Doxorubicine (60 mg/m²) + Cisplatine (120 mg/m²) toutes les 4 semaines Paclitaxel (175 mg/m²) + Carboplatine (AUC 5) toutes les 3 semaines Docetaxel (60 mg/m²) + Doxorubicine (60 mg/m²) toutes les 3-4 semaines Paclitaxel (135-200mg/m²) toutes 3-4 semaines Doxorubicine (60-75mg/m²) toutes les 3 semaines Chaque semaine Paclitaxel 50-100 mg/m2 + Carboplatine AUC2 Docetaxel (20 mg/m2) + Doxorubicine (20 mg/m²) Paclitaxel (30–60 mg/m²) Docetaxel (20 mg/m²) |
Inhibiteurs de BRAF & MEK | Dabrafenib 150 mg deux fois par jour + Trametinib 2mg une fois par jour |
Immunothérapie | Pembrolizumab 200mg toutes les 3 semaines Nivolumab 3 mg/kg toutes les 2 semaines Atezolizumab 1200 mg toutes les 3 semaines Durvalumab 1500 mg toutes les 4 semaines |
Les deux figures ci-après résument la prise en charge du cancer thyroïdien anaplasique selon le statut BRAF à obtenir en urgence au diagnostic.
Figure 4b-I. Algorithme de prise en charge du cancer anaplasique avec mutation BRAF
Figure 4b-II. Algorithme de prise en charge du cancer anaplasique sans mutation BRAF
Références :
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[3] Jannin A, Escande A, Al Ghuzlan A, Blanchard P, Hartl D, Chevalier B, et al. Anaplastic Thyroid Carcinoma: An Update. Cancers (Basel) 2022;14:1061. https://doi.org/10.3390/cancers14041061.
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