Les référentiels du réseau ENDOCAN-TUTHYREF sont conçus comme un guide destiné à l'ensemble des professionnels de santé et des parties prenantes impliquées dans le traitement des cancers réfractaires de la thyroïde, qui rassemblent le cancer différencié de souche vésiculaire non répondeur à l’iode radioactif, le cancer médullaire thyroïdien localement avancé ou métastatique et le cancer anaplasique de la thyroïde.

Ces référentiels, élaborés par des membres du réseau ENDOCAN-TUTHYREF, ont pour objectifs de fournir des lignes directrices claires et détaillées pour aborder les différents aspects de la prise en charge, depuis l'évaluation initiale jusqu'aux traitements des patients en stade avancé, en s'appuyant sur les dernières données scientifiques, les connaissances médicales des centres experts et les pratiques cliniques validées à ce jour.

Ils abordent différents points comme la fréquence des cancers réfractaires et les variétés histologiques à risque de devenir réfractaire, les anomalies génétiques à rechercher au stade de cancer réfractaire, ainsi que les stratégies thérapeutiques validées, incluant les inhibiteurs de tyrosine kinase, la radiothérapie et les autres traitements locorégionaux, ainsi que la place des interventions ou réinterventions chirurgicales.

Ces référentiels visent à harmoniser les pratiques, à optimiser les soins pour offrir une prise en charge personnalisée et adaptée à chaque patient, tout en assurant une gestion des effets indésirables et des situations à risque, et faciliter la prise de décision en RCP à l’échelle locale comme nationale.

4c. Quels traitements (thérapies ciblées ou chimiothérapie) pour les cancers médullaires thyroïdiens ?

Francoise Borson-Chazot


On estime entre 10 et 30% la proportion de cancers médullaires de la thyroïde (CMT) localement avancés ou évoluant sur un mode métastatique [1]. Chez ces patients les options thérapeutiques ont été longtemps très limitées. La chimiothérapie étant peu efficace, il a fallu attendre l’avènement des thérapies ciblées pour disposer de traitements systémiques validés [1-2].
Traitements validés
La particularité des CMT est de survenir dans un contexte de prédisposition génétique par mutation germinale du proto-oncogène RET dans 25% des cas. Par ailleurs, des mutations somatiques de RET, principalement la mutation 918T, sont retrouvées dans plus de la moitié des cancers médullaires sporadiques métastatiques [3]. L’oncogène RET apparait donc comme le principal « driver » des CMT aussi bien familiaux que sporadiques. Les traitements systémiques actuellement validés, au nombre de 3, ciblent tous RET de façon plus ou moins spécifique.
Les deux premiers, le vandetanib et le cabozantinib, sont des inhibiteurs multikinasiques de première génération ciblant à la fois RET et les voies de l’angiogénèse (Tableau 4c-I).
Le vandetanib a ouvert la voie avec l’étude de phase 3 randomisée contre placébo, ZETA, publiée en 2012 [4]. Elle a inclus 331 patients porteur d’un CMT localement avancé non opérable (5 %) ou métastatique (95 %). L’existence d’une progression tumorale selon RECIST ne faisait pas partie des critères d’inclusion. La médiane de survie sans progression (SSP), non atteinte dans le groupe vandetanib, a été estimée à 30,5 mois versus 19,3 mois dans le groupe placebo. Le taux de réponse objective était de 45% (Tableau 4c-I). La médiane de survie globale n’était pas différente entre les deux groupes. En 2017, une analyse post-hoc [5] a confirmé l’efficacité du traitement sur la SSP des patients progressifs à l’inclusion (21,4 mois vs 8,4 mois sous placebo). Des évènements indésirables de grade 3 ou 4 ont été rapportés chez la moitié des patients. Les plus fréquents étant la diarrhée, l’hypertension artérielle et le prolongement de l’intervalle QT. Une réduction posologique a été nécessaire chez 1/3 des patients et un arrêt pour toxicité chez 12% [4].
Le cabozantinib a été testé dans l’essai de phase 3 EXAM publié en 2013 [6-7] qui a inclus 330 patients avec MTC inopérable, localement avancé ou métastatique progressif en 14 mois selon RECIST. L’essai a montré une amélioration de la SSP dans le groupe traité (11,2 mois vs 4 mois dans le groupe placebo) (Tableau 4c-I). Le taux de réponse objectif était de 27% et la durée de réponse de 14 mois. Il n’y avait pas d’effet sur la survie. Des évènements indésirables de grade 3 et 4 ont été rapportés chez ¾ des patients, les plus fréquents étant la diarrhée, le syndrome mains-pieds, une hypertension artérielle, une constipation, des vomissements ou une mucite. La posologie du traitement a dû être diminuée chez 4/5 patients et 20% l’ont arrêté pour intolérance [6].
Les caractéristiques très différentes des patients inclus dans les essais ne permettent pas de comparaison des deux molécules en termes d’efficacité. En termes d’évènements indésirables, une méta-analyse récente a rapporté, à partir d’une compilation des études de phase 1, 2, 3 et des séries rétrospectives en vraie vie, des arrêts de traitement pour intolérance chez 39% et 66% des patients traités respectivement par vandetanib et cabozantinib [8].
Ces deux médicaments bénéficient en France d’une AMM et d’un remboursement pour le traitement de première intention des patients atteints de CMT avancé ou métastasique et progressif. Récemment, l’utilisation du vandetanib a, cependant, été restreinte aux patients porteurs de mutations RET, l’étude ZETA n’ayant pas permis de déterminer l’efficacité du traitement chez les patients RET négatifs qui ne représentaient que 2% des patients du bras traité de la cohorte (statut RET inconnu chez 40% des patients).
Les travaux récents ont porté sur la recherche d’un inhibiteur hautement sélectif de RET et ont permis le développement du selpercatinib, actif sur les différentes mutations de RET y compris la mutation de résistance V 804. Il a d’abord été testé dans une étude de phase I–II, l’étude LIBRETTO-001 dont les résultats chez 143 patients porteurs d’une mutation RET publiés en 2020 [9] devraient prochainement être actualisés. Le taux de réponse était de 73% chez les patients en 1° ligne avec maintien de la réponse à 1 an chez 93% des patients. Chez les patients préalablement traités par cabozantinib ou vandetanib le taux de réponse était de 69%. Les évènements indésirables (hypertension, majoration des transaminases, plus rarement diarrhées et hyponatrémie) ont conduit à une diminution posologique chez 30% des patients. Un arrêt du traitement a été nécessaire chez 2% seulement des patients. Ces résultats prometteurs ont permis l’obtention d’un accès précoce en 2e ligne, après traitement par vandetanib ou cabozantinib.
Il restait à comparer l’efficacité du selpercatinib à celle des traitements de référence. C’est chose faite avec la publication très récente de l’étude de phase 3 multicentrique, randomisée LIBRETTO-531 [10]. Cette étude a inclus 291 patients porteurs d’un cancer médullaire métastatique ou localement avancé, mutés RET, progressifs dans les 14 mois précédant l’inclusion et naïfs de tout traitement. Les patients ont été comparés à un groupe contrôle traité par cabozantinib ou vandetanib, à la convenance de l’investigateur selon un schéma 2/1. Le selpercatinib a réduit la taille des tumeurs dans 69 % des cas contre 40 % avec les traitements de référence et a diminué de 72 % du risque de progression de la maladie par rapport au groupe contrôle. Le profil de toxicité s’est également révélé favorable avec 39% vs 77% de réductions de doses et 4,8% vs 27% d’arrêt de traitement sous selpercatinib en comparaison du bras contrôle.
Les résultats de cet essai montrant la supériorité du selpercatinib en termes de survie sans progression, de taux de réponse et de tolérance par rapport aux traitements de référence, pour les patients atteints de carcinome médullaire de la thyroïde avec une mutation du gène RET, en première ligne de traitement, ont permis d’obtenir très récemment une autorisation de mise sur le marché et un remboursement pour l’indication en première ligne de traitement des patients atteints de cancer médullaire de la thyroïde avancé et mutés RET.
Il faut signaler le risque de survenue sous traitement de mutations de résistance sur le gène RET qui motive la recherche d’inhibiteurs de 2° génération. Le développement du LOXO 260 a été abandonné, le développement du EP300 est en cours avec une phase I/Ii ouverte aux USA et en Europe. Ces mutations de résistance ne se situent, cependant sur le gène RET que dans 25% des cas « mutations on target » alors que les mutations activant d’autres voies oncogéniques «mutations bypass » représentent 75% des cas [11]. Par ailleurs, quelques cas d’histologies agressives ont été décrits après traitement anti-RET faisant craindre une possible dédifférenciation tumorale chez certains patients [11].
La figure 4c-I précise la stratégie thérapeutique dans les CMT métastatiques justifiant un traitement systémique en fonction du statut RET


Figure 4c-I. Algorithme de prise en charge du cancer médullaire thyroïdien avancé ou métastatique

Autres traitements
Les CMT étant des tumeurs neuroendocrines, des chimiothérapies basées sur l’association Dacarbazine/5 Fluoro-uracile ont été proposées pour le traitement des formes métastatiques avant l’avènement des thérapies ciblées. Plusieurs séries rétrospectives ont rapporté des résultats encourageants avec des réponses partielles, des stabilisations dans des formes évolutives ainsi qu’une très bonne tolérance [12-13]. Cette approche garde son intérêt dans des formes très évolutives en échec des IMK en 2° ou 3° ligne.
Les CMT expriment des récepteurs de la somatostatine du sous type 2. Ceci a conduit à rechercher l’efficacité antitumorale des analogues de la somatostatine qui se sont révélés décevants. Plus récemment des résultats plus encourageants ont été rapportés avec les analogues radiomarqués de la somatostatine (177Lu-DOTATATE) dans de petites séries avec des réponses tumorales partielles dans 10% des cas, des réponses biochimiques et/ou symptomatiques chez 30-50% des patients [14]. Des études complémentaires sont nécessaires pour préciser l’intérêt de cette approche
Concernant les perspectives, des travaux préliminaires suggèrent que l’immunothérapie pourrait être une option thérapeutique pour les patients en échec des traitements conventionnels, notamment les patients non mutés RET, s’ils présentent un taux élevé de mutations intra-tumorales (TMB-H; >10 mut/Mb) [15].

Tableau 4c-I: résumé synthétique des essais thérapeutiques conduits dans les cancers médullaires

Agent

Cibles moleculaires

Phase

population

SSP (mois)

Taux de réponse

Vandetanib

Cabozantinib

Selpercatinib

VEGFR, EGFR, C Kit, RET

VEGFR, MET, RET, Ax

RET

3

3

1 /2

3

CMT vs non traités

CMT progressifs vs non traités

CMT naifs

CMT en 2° ligne

CMT naif vs vandetanib ou cabozantinib

30,5 vs 19,5

11,2 vs 4

-

-

Non atteinte vs 16,8

44%

28%

73%

69%

69% vs 40%

Références
1- Wells SA, Asa SL, Dralle H, Elisei R, Evans DB, Gagel RF et al. Revised American Thyroid Association guidelines for the management of medullary thyroid carcinoma. Thyroid 2015; 25: 567–610.
2- Hadoux J, Pacini F, Tuttle RM, Schlumberger M. Management of advanced medullary thyroid cancer. Lancet Diabetes Endocrinol 2016; 4: 64–71
3- Elisei R, Gosci B, Romei C, Bottici V, Renzini G, Molinaro E et al. Prognostic Significance of Somatic RET Oncogene Mutations in Sporadic Medullary Thyroid Cancer: A 10-Year Follow-Up Study. J Clin Endocrinol Metab 2008; 93: 682–7
4- Wells SA, Jr., Robinson BG, Gagel RF, Dralle H, Fagin JA, Santoro M et al. Vandetanib in patients with locally advanced or metastatic medullary thyroid cancer: a randomized, double-blind phase III trial. J Clin Oncol 2012; 30: 134-41. DOI: 10.1200/JCO.2011.35.5040.
5- Kreissl MC, Bastholt L, Elisei R Haddad R, Hauch O, Jarząb B et al. Efficacy and Safety of Vandetanib in Progressive and Symptomatic Medullary Thyroid Cancer: Post Hoc Analysis From the ZETA Trial. J Clin Oncol. 2020; 38: 2773‑81.
6- Elisei R, Schlumberger MJ, Muller SP, Schöffski P, Brose MS, Shah MH et al. Cabozantinib in progressive medullary thyroid cancer. J Clin Oncol 2013; 31: 3639-46. DOI: 10.1200/JCO.2012.48.4659.
7- Schlumberger M, Elisei R, Muller S, Schöffski P, Brose M, Shah M et al. Overall survival analysis of EXAM, a phase III trial of cabozantinib in patients with radiographically progressive medullary thyroid carcinoma. Ann Oncol. 2017; 28: 2813-19.
8- Efstathiadou ZA, Tsentidis C, Bargiota A Daraki V, Kotsa K , Ntali G et al. Benefits and limitations of TKIs in patients with medullary thyroid cancer: a systematic review and meta-analysis. European Thyroid Journal. 2021; 10: 125–139. doi :10.1159/ 000509457
9- Wirth LJ, Sherman E, Robinson B, Solomon B, Kang H, Lorch J et al. Efficacy of selpercatinib in RETaltered thyroid cancers. N Engl J Med. 2020; 383: 825-35.
10- Hadoux J, Elisei R, Brose MS, O Hoff A, Robinson BG, Gao M et al. Phase 3 trial of selpercatinib in advanced RET-mutant medullary thyroid cancer. N Engl J Med 2023; 389:1851-61. DOI: 10.1056/NEJMoa2309719.
11- Hadoux J, Al Ghuzlan A , Lamartina L , Bani M-A, Moog S , Attard M et al. Patterns of Treatment Failure After Selective Rearranged During Transfection (RET) Inhibitors in Patients With Metastatic Medullary Thyroid Carcinoma. JCO Precis Oncol 2023 : 7:e2300053. doi: 10.1200/PO.23.00053
12- Marchand L, Nozières C, Walter T, Descotes F, Decaussin-Petrucci M, Joly MO,et al. . Combination chemotherapy with 5 fluorouracil and dacarbazine in advanced medullary thyroid cancer, a possible alternative? Acta Oncol. 2016;55:1064-6. doi: 10.3109/0284186X.2016.1157264.
13- Nocera M, Baudin E, Pellegriti G, Cailleux AF, Mechelany-Corone C, Schlumberger M. Treatment of advanced medullary thyroid cancer with an alternating combination of doxorubicin-streptozocin and 5 FU-dacarbazine. Br J Cancer. 2000; 83:715-8. doi: 10.1054/bjoc.2000.1314.
14- Gild ML, Clifton-Bligh RJ, Wirth LJ, Robinson BG. Medullary thyroid cancer: updates and challenges. Endocr Rev. 2023;44(5): 934-946.
15- Marabelle A, Fakih M, Lopez J, Shah M, Shapira-Frommer R, Nakagawa K et al. Association of tumour mutational burden with outcomes in patients with advanced solid tumours treatedwith pembrolizumab: prospective biomarker analysis of the multicohort, open-label, phase 2 KEYNOTE-158 study. Lancet Oncol 2020;21:1353–65.