4d. Métastases osseuses et inhibiteurs de résorption osseuse : quand initier ou stopper ces traitements ?
A. Jannin et C. Do Cao
Les métastases osseuses (MO) sont présentent chez 2 à 13% des patients porteurs de carcinomes thyroïdiens différenciés (CTD), chez 14 à 19% des patients avec carcinomes médullaires de la thyroïde (CMT) et chez 9 à 26% des patients avec carcinome anaplasique de la thyroïde (CTA) [1–4]. Ces MO sont situées principalement au niveau du rachis et du pelvis, et sont le plus souvent de nature ostéolytique [1,3,5,6].
Cette présentation explique le risque important de survenue d’évènements osseux (EO), risque évalué entre 48-78% en fonction du type histologique, définis par l’occurrence d’une fracture pathologique, d’une compression médullaire, d’une hypercalcémie ou le recours à la radiothérapie ou à la chirurgie de ces MO [2,6–11].
En cas de MO, l’IRM rachidienne ou le scanner en fenêtre osseuse seront les examens de choix dans la détection et la caractérisation de la nature lytique ou condensante des atteintes. La TEP-TDM 18FDG est également utile pour identifier l’ensemble des lésions squelettiques hypermétaboliques plus à risque d’événements secondaires osseux, surtout en zone portante. Dans le CMT, la TEP-TDM DOTATOC-(68Ga) et la TEP-FDOPA peuvent avoir un intérêt similaire.
Deux tiers des patients présentant des MO de CTD ont une maladie secondaire osseuse réfractaire à l’Iode 131 [3,12]. On manque d’information sur l’efficacité des inhibiteurs multikinases (IMK) sur le contrôle des MO des CTD réfractaires et des CMT métastatiques, à l’exception du lenvatinib dans l’essai SELECT, où la relecture radiologique centralisée a conclu à un taux de réponse objective de 51% au niveau des MO, mais ces données n’ont toutefois pas été publiées [13].
Des réponses tumorales en site métastatique osseux sont néanmoins rapportées dans d’autres cancers solides à tropisme osseux traités par le cabozantinib [14,15], une molécule utilisée pour le traitement des CTD réfractaires et les CMT métastatiques.
Un nombre limité de travaux (prospectifs mais non randomisés et non contrôlés ou rétrospectifs) menés sur de faibles effectifs de patients CTD avec MO semblent montrer un bénéfice des IRO en terme de réduction des EO et possiblement un gain de survie [16–18].
A l’heure actuelle, on ne dispose pas de recommandations de sociétés savantes ni d’étude clinique suffisamment probante permettant de définir les situations où l’initiation d’un IRO est formellement validée dans le cancer thyroïdien. La prise en charge se fait donc par analogie aux autres cancers solides (Cf les recommandations édictées par l’ESMO, l’ASCO dans le cancer du sein, prostate, poumon …) où l’introduction d’un inhibiteur de la résorption osseuse (IRO) est discutée soit dès l’apparition d’une lésion ostéolytique, ou lorsque l’atteinte est symptomatique afin de limiter les douleurs et de prévenir de nouveaux EO ou encore en cas de lésions ostéolytiques multiples [3,16,18–21]. Idéalement, cette décision thérapeutique devrait être prise lors d’une réunion de concertation pluridisciplinaire dédiée à la prise en charge des MO.
En cancérologie, deux IRO sont utilisés en routine : le dénosumab, qui est un anticorps monoclonal spécifique du RANK ligand (RANKL) administré en injection sous-cutanée mensuelle de 120 mg et le zolédronate qui est un biphosphonate administré à 4 mg mensuellement en perfusion intraveineuse pendant 15 minutes. Leurs principaux effets secondaires sont des troubles digestifs (nausées, épigastralgies), des douleurs osseuses inconstantes et transitoires et un syndrome pseudogrippal cédant dans les 48h.
Il faut connaître le risque de néphrotoxicité avec le zoledronate (contre-indiqué en cas de clairance de la créatinine < 30 ml/min), d’hypocalcémie et d’ostéonécrose mandibulaire avec les deux molécules. Ainsi, en pratique, avant l’initiation des IRO, on réalisera systémiquement un bilan biologique avec un dosage plasmatique du calcium, du phosphore, d’albumine, de créatinine et de vitamine D. Le bilan phosphocalcique sera vérifié avant chaque administration d’IRO. Un dentascanner ou une radiographie panoramique dentaire, le contrôle de l’état bucco-dentaire avec des soins appropriés sont nécessaires avant l’instauration d’un IRO puis 2 fois par an au cours du suivi sous traitement.
Le choix de l’IRO, sa dose et l'intervalle d'administration doivent être évalués chez chaque patient en fonction notamment de son risque d’EO, du contrôle global de la tumeur et de l’espérance de vie. Par analogie aux autres cancers, en raison de la facilité d’utilisation, du moindre risque de néphrotoxicité et d’une efficacité équivalente, on peut proposer un traitement par denosumab en 1ère intention (120 mg toutes les 4 semaines) [22–24]. On pourra ensuite envisager un relais par biphosphonates (zoledronate, 4mg toutes les 12 semaines) afin d’éviter l’ostéolyse rebond secondaire à l’arrêt du denosumab.
La durée optimale du maintien des IRO dans le cancer thyroïdien est inconnue, mais dans d'autres tumeurs ayant fait l'objet d'études plus approfondies (par ex. sein, prostate, poumon), un minimum de 2 ans de traitement est recommandé. L’ESMO propose de poursuivre le traitement par IRO tant que les MO sont présentes. Toutefois, le risque d’ostéonécrose mandibulaire dont l’incidence est généralement de 1-2% en oncologie croit avec la dose et une durée d’exposition aux IRO supérieure à 2 ans, et notamment s’ils sont associés à un anti-angiogénique. De ce fait, après 2 ans de traitement, la poursuite des IRO doit être réévaluée au cas par cas selon la reminéralisation osseuse obtenue, le risque fracturaire et le pronostic tumoral global.
La prescription d’IRO nécessite un suivi clinique et biologique adapté. Toute procédure dentaire invasive comme une extraction dentaire doit idéalement être achevée avant l'instauration du traitement par IRO.
Le suivi buccodentaire sous traitement doit intervenir par la suite deux fois par an. Il est important de maintenir des niveaux adéquats de calcium et de vitamine D durant le traitement. Lorsqu’un traitement inhibant la résorption osseuse est instauré, le dosage d’un marqueur de la résorption osseuse (CTX sériques) peut être réalisé entre les 3e et 12e mois selon le traitement afin de juger de l’efficacité de ce dernier.
En cas d’hypercalcémie maligne, un EO rare dans les carcinomes thyroïdiens, un traitement par hyperhydration et IRO sera mis en place afin de corriger rapidement la calcémie.
Peu de données sont disponibles dans la littérature quant à l’impact de l’association des IMK et IRO sur les MO en termes d’efficacité et de toxicité même s’il faut être particulièrement vigilant quant au risque d’ostéonécrose de la mandibule [6,25]. Malgré l’absence de données sur cette association, les sociétés savantes (ATA, ETA) recommandent l'instauration d’un IMK en cas de progression tumorale rapide ou symptomatique et de le combiner avec un IRO (bisphosphonates ou dénosumab) s'il existe des MO à risque pour réduire ou retarder les EO, Un essai clinique français actuellement en phase de recrutement s’intéresse justement à ces deux critères de jugement chez les patients avec un CTD avec MO, réfractaire à l’iode et traité par lenvatinib et denosumab (Essai LENVOS [NCT03732495]).
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