5b. Quelle surveillance réaliser lors du suivi des patients avec cancers thyroïdiens réfractaires traités par inhibiteurs de tyrosine kinase ?
Slimane Zerdoud, Camila Nascimento
Surveillance clinique
Quand un traitement par inhibiteurs de tyrosine kinase (ITK) est proposé par la réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP) et mis en place pour la prise en charge de cancers thyroïdiens différenciés réfractaires (CTD RAIR) ou médullaires (CMT), il est recommandé que le patient soit vu en consultation par l’équipe spécialisée toutes les 2 à 3 semaines pendant les premiers mois.
La préparation du patient pour recevoir un ITK est détaillé au chapitre 3b et inclus l’éducation sur le traitement et ses effets indésirables. Pour chaque ITK, des fiches à cet effet destinées aux patients ont été élaborées par la société française de pharmacie oncologique (SFPO) et mises à disposition sur son site internet (https://oncolien.sfpo.com/), ainsi que sur le site TUTHYREF (https://www.tuthyref.com/fr/patient-famille/fiches-des-medicaments).
Les consultations de surveillance sous ITK permettent d’évaluer la tolérance au traitement et l’apparition des toxicités pouvant nécessiter la mise en place ou l’adaptation d’un traitement symptomatique voire la diminution de la posologie ou l’interruption de l’ITK (Cf chapitre 5c). Il est alors important d’évaluer à chaque consultation l’état général du patient (ECOG), son poids, sa pression artérielle ainsi que les résultats des automesures qui peuvent être enregistrées à l’aide d’applications telles que Hy-Result.
On vérifiera sur le carnet de suivi, à l’interrogatoire et à l’examen clinique l’apparition d’effets indésirables notamment gastro-intestinaux, cutanés et vasculaires. Un ECG à chaque visite doit être réalisé pour la surveillance de l’intervalle QTc, notamment si le patient est sous lenvatinib [1]. Une échographique cardiaque de contrôle annuelle ou en cas d’apparition de symptômes d’insuffisance cardiaque est également proposée.
Après les premiers mois de traitement, la surveillance clinique peut être espacée progressivement à une consultation mensuelle puis trimestrielle jusqu’à 1 an du début du traitement. Après 1 an, la surveillance peut être espacée à 4 mois si la maladie est stable [1].
Depuis son entrée en droit commun à partir du premier juillet 2023 et pouvant désormais être prise en charge par la sécurité sociale, la télésurveillance est proposée par des nombreux centres en alternance avec les consultations présentielles. Elle vient renforcer la coordination des différents professionnels de santé autour du patient, permettant d’adapter la prise en charge au plus tôt, de mieux suivre l’évolution de la maladie et d’améliorer la qualité de vie par la prévention des complications et une prise en charge au plus près du lieu de vie.
Surveillance biologique
Chaque consultation doit être accompagnée d’un bilan biologique de dépistage des toxicités (Cf tableau 5b-I) [1]. La TSH et la T4 libre doivent être contrôlées systématiquement compte tenu des perturbations du métabolisme des hormones thyroïdiennes périphériques induites par les ITK (augmentation de la deiodinase type 3) [2], nécessitant souvent une augmentation de la posologie de la levothyroxine .
Le dosage des marqueurs, thyroglobuline et anticorps anti-thyroglobuline ou calcitonine et ACE, doit accompagner le bilan morphologique pour une interprétation conjointe des résultats.
Surveillance morpho-métabolique
Avant traitement
Avant le début du traitement par ITK, il est recommandé de réaliser un bilan morphologique complet permettant d’évaluer l’étendue de la maladie et de sélectionner les lésions cibles pour l’évaluation de la réponse au traitement selon RECIST v1.1 [3]. Ce bilan comporte le plus souvent une tomodensitométrie (TDM) avec injection de produit de contraste (APC) cervico-thoraco-abdomino-pelvien et éventuellement une imagerie par résonnance magnétique (IRM) APC rachidienne et/ou du bassin en particulier en cas de lésions osseuses connues ou suspectées sur l’évaluation TDM. L’IRM permettra l’évaluation des lésions et leur éventuelle extension aux tissus mous et le risque de compression médullaire ou d’autres structures neurologiques. Une IRM hépatique peut aussi être indiquée pour sa meilleure sensibilité par rapport à la TDM dans la détection des localisations secondaires hépatiques, notamment pour les CMT [3].
Une IRM cérébrale est recommandée pour le dépistage des lésions pouvant nécessiter un traitement local préalable compte tenu du risque de complication hémorragique sous TKI et de leur résistance au traitement [4]. Si l’IRM cérébrale n’est pas réalisée, un scanner cérébral APC pourra être proposé en baseline pour expertise et imagerie de référence.
La tomographie par émission de positons couplée à une TDM après injection de 18 fluoro-désoxyglucose (TEP-TDM au 18-FDG), si possible corps entier, peut être réalisée avant le début de traitement par ITK, pour compléter le bilan morphologique et pour sa valeur pronostique, mais elle ne remplace pas le bilan morphologique par TDM et/ou IRM nécessaire à l’évaluation de la réponse au traitement selon RECIST v1.1. Dans le cadre du CMT, la TEP-TDM au 18 F-Fluoro-dihydroxyphenylalanine (TEP-TDM au 18-FDOPA) ou la TEP-TDM aux analogues de la somatostatine (68Ga DOTATOC) peuvent aussi compléter le bilan d’extension [5].
La TEP-TDM au 18-FDG est indiquée dans le bilan d’extension initial et peut être utilisée dans le suivi du traitement des cancers anaplasiques de la thyroïde [6].
Surveillance sous traitement
Après le début du traitement chez les patients suivis pour un CTD RAIR ou CMT, l’imagerie de contrôle sera réalisée tous les 3 à 4 mois en absence d’argument pour une progression, associée à une IRM cérébrale annuelle ou en cas de suspicion clinique de localisation secondaire ou d’augmentation des marqueurs tumoraux sans lésion évolutive sur le reste du bilan pouvant expliquer la progression biologique.
Pour les cancers anaplasiques de la thyroïde, un bilan morphologique plus rapproché tous les 4 à 6 semaines, en particulier au début du traitement, est proposé.
En cas de maladie progressive selon RECIST v1.1, correspondant à une augmentation de 20 % ou plus de la somme des lésions cibles par rapport à l’examen pré-thérapeutique ou nadir, ou l’apparition de nouvelles localisations ou l’augmentation non équivoque des lésions non cibles [7], la discussion en RCP est nécessaire pour guider la prise en charge (nouvelle ligne de traitement systémique et/ou traitements loco-régionaux).
Chez les patients suivis pour un CTD RAIR ou CMT, si une imagerie métabolique (TEP-TDM au 18-FDG ou TEP-TDM 18-FDOPA) pré-thérapeutique est disponible, un examen de contrôle peut être réalisé dans le suivi pour vérifier la diminution sous traitement de l’activité métabolique des localisations secondaires [3]. Des études récentes montrent l’efficacité de la TEP-TDM au 18-FDG dans ce contexte et mettent en évidence son rôle pronostique [8], [9], [10]. Néanmoins, son impact thérapeutique nécessite d’être évalué davantage et elle ne remplace pas l’imagerie conventionnelle dans la surveillance sous traitement.
L’imagerie métabolique peut également être réalisée en cas de discordance morpho-biologique avec progression des marqueurs tumoraux et stabilité de la maladie sur le bilan conventionnel, ou, au contraire, une diminution des marqueurs sous ITK non suivie d’une réduction du volume tumoral pour évaluer une possible hétérogénéité et/ou dédifférenciation tumorale.
Les évaluations cliniques multidisciplinaires, biologiques et morpho-métaboliques proposées avant la mise en place et tout au long du traitement par ITK sont synthétisées dans le Tableau 5b-I.
Tableau 5b-I. Gestion du traitement par ITK
AVANT ITK | SOUS ITK |
Médecin et/ou infirmière : . Evaluation de l’état général, psychologique et situation sociale du patient. . Évaluation du traitement médical et risque d’interactions médicamenteuses. . Education thérapeutique, remise carnet de suivi et lien avec le médecin traitant. | . Appel ou consultation à 2-3 semaines de l’initiation, puis mensuelle pendant 3 mois, puis progressivement espacée selon tolérance : ECOG, poids, effets secondaires, carnet de suivi. . Contact précoce avec infirmière spécialisée si effets indésirables. |
Evaluation cardiologique : . PA et traitement anti-hypertenseur . ECG, échodoppler cardique . Mesures hygiéno-diététiques . Activité physique adaptée | . Automesure de PA . ECG régulier . Echodoppler cardiaque annuel ou en cas d’apparition de symptômes d’insuffisance cardiaque |
Analyses sériques : NFS, ionogramme, calcémie, magnésium, albumine, glycémie à jeun, enzymes hépatiques, lipase si épigastralgies, urée, créatinine, TSH, T4L, cortisol/ACTH 8h en cas d’asthénie majeure. | Avant consultation médicale |
Analyses urinaires : Protéinurie et créatininurie | Avant consultation médicale |
Evaluation diététique/ dentaire | Evaluation spécialisée si perte de poids, symptômes buccaux |
Évaluation cutanée | Evaluation spécialisée si symptômes. |
Evaluation tumorale : . Marqueurs Baseline (Tg et ATg ou Calcitonine et ACE) . Morphologique Baseline (TDM cranio-cervico-TAP +/- IRM rachis/bassin +/- IRM hépatique) . Métabolique (TEP-TDM au 18-FDG ou TEP-TDM 18-FDOPA) | Marqueurs et bilan morphologique tous les 2 à 3 mois initialement, puis espacé à 4-6 mois selon pente évolutive TEP-TDM à contrôler si Baseline disponible et/ou en cas de discordance morpho-biologique. |
Références
[1] Fugazzola L, Elisei R, Fuhrer D, Jarzab B, Leboulleux S, Newbold K, et al. 2019 European Thyroid Association Guidelines for the Treatment and Follow-Up of Advanced Radioiodine-Refractory Thyroid Cancer. Eur Thyroid J 2019;8:227–45. https://doi.org/10.1159/000502229.
[2] De Leo S, Trevisan M, Moneta C, Colombo C. Endocrine-related adverse conditions induced by tyrosine kinase inhibitors. Annales d’Endocrinologie 2023;84:374–81. https://doi.org/10.1016/j.ando.2023.03.009.
[3] Filetti S, Durante C, Hartl D, Leboulleux S, Locati LD, Newbold K, et al. Thyroid cancer: ESMO Clinical Practice Guidelines for diagnosis, treatment and follow-up. Annals of Oncology 2019;30:1856–83. https://doi.org/10.1093/annonc/mdz400.
[4] Wu SS, Lamarre ED, Scharpf J, Prendes B, Ku JA, Silver N, et al. Survival Outcomes of Advanced Thyroid Cancer Enriched in Brain Metastases Following Treatment With Small Molecule Inhibitors. Endocrine Practice 2023;29:881–9. https://doi.org/10.1016/j.eprac.2023.08.003.
[5] Gild ML, Clifton-Bligh RJ, Wirth LJ, Robinson BG. Medullary Thyroid Cancer: Updates and Challenges. Endocrine Reviews 2023;44:934–46. https://doi.org/10.1210/endrev/bnad013.
[6] Bible KC, Kebebew E, Brierley J, Brito JP, Cabanillas ME, Clark TJ, et al. 2021 American Thyroid Association Guidelines for Management of Patients with Anaplastic Thyroid Cancer: American Thyroid Association Anaplastic Thyroid Cancer Guidelines Task Force. Thyroid 2021;31:337–86. https://doi.org/10.1089/thy.2020.0944.
[7] Eisenhauer EA, Therasse P, Bogaerts J, Schwartz LH, Sargent D, Ford R, et al. New response evaluation criteria in solid tumours: Revised RECIST guideline (version 1.1). European Journal of Cancer 2009;45:228–47. https://doi.org/10.1016/j.ejca.2008.10.026.
[8] Ahmaddy F, Burgard C, Beyer L, Koehler VF, Bartenstein P, Fabritius MP, et al. 18F-FDG-PET/CT in Patients with Advanced, Radioiodine Refractory Thyroid Cancer Treated with Lenvatinib. Cancers 2021;13:317. https://doi.org/10.3390/cancers13020317.
[9] Gay S, Raffa S, De’Luca Di Pietralata A, Bauckneht M, Vera L, Miceli A, et al. 2-[18F]FDG PET in the Management of Radioiodine Refractory Differentiated Thyroid Cancer in the Era of Thyrosin-Kinases Inhibitors: A Real-Life Retrospective Study. Diagnostics 2022;12:506. https://doi.org/10.3390/diagnostics12020506.
[10] Werner RA, Schmid J-S, Higuchi T, Javadi MS, Rowe SP, Märkl B, et al. Predictive Value of 18 F-FDG PET in Patients with Advanced Medullary Thyroid Carcinoma Treated with Vandetanib. J Nucl Med 2018;59:756–61. https://doi.org/10.2967/jnumed.117.199778.