5c. En cas de toxicité : suspendre le traitement ou réduire la dose, quelle est la meilleure stratégie ?
Bérangère Narciso
Il a été décidé dans ce chapitre de prendre pour modèle le lenvatinib car c’est la molécule la mieux étudiée quant à cette question d’adaptation de schéma ou de dose, mais il est difficile de transposer ce raisonnement à d’autres inhibiteurs de tyrosine kinase en l’absence de données.
Depuis l’étude SELECT [1], le lenvatinib est le traitement de référence du cancer de thyroïde différencié réfractaire à l’iode. La posologie initiale du lenvatinib est de 24 mg par jour, en continu, donnant dans l’étude SELECT 76% d’effets secondaires de grade 3 et plus, dont les plus fréquents sont l’hypertension, la diarrhée, la fatigue.
Il est établi que l’efficacité thérapeutique et notamment la réduction de la taille de la tumeur est corrélée à l’exposition à une dose élevée au traitement. La dose médiane de lenvatinib des patients inclus était de 17,2 mg par jour. Dans l’étude, 82,4% des patients ont eu des interruptions de traitement et 67,8% des réductions de dose du fait d’effets indésirables. Le temps médian avant la première réduction de dose était de 3 mois. Il est important de voir les patients régulièrement pour détecter précocement les effets secondaires lorsqu’ils sont de grade faible afin de les prendre en charge efficacement et d’éviter des interruptions de traitement ou des réductions de dose.
Quelles sont les options en cas d’effets secondaires de grade élevé ? Est-il préférable de diminuer la dose de lenvatinib ou est-il préférable de suspendre le traitement temporairement ?
1- Suspendre le traitement ?
Dans une analyse post-hoc de l’étude SELECT, Tahara et al ont étudié l’impact des interruptions de dose sur l’efficacité du lenvatinib [2]. Les patients ont été répartis en 2 groupes, ceux qui avaient une courte interruption de traitement (inférieure à 10% de la durée totale du traitement) et ceux qui avaient une longue interruption du traitement (supérieure ou égale à 10% de la durée totale du traitement).
La SSP médiane n’est pas atteinte dans le groupe de courte interruption versus 12,8 mois dans l’autre groupe. Dans une analyse multivariée, les interruptions prolongées de traitement sont significativement associées à une diminution de l’efficacité du lenvatinib. Il est souligné l’importance de la détection précoce des toxicités et leur gestion efficace pour limiter les interruptions de traitement et optimiser l’efficacité.
Peut-on proposer des pauses thérapeutiques planifiées aux patients ? Le principe est de planifier chaque mois des arrêts de traitement pour minimiser des effets secondaires intolérables, ce qui permettrait des schémas adaptatifs de traitement chez des patients ne pouvant tolérer les schémas classiques, en l’occurrence un traitement en continu dans le cas du lenvatinib.
Matsuyama et al ont réalisé une analyse rétrospective dont le but est de comparer l’efficacité et la tolérance de schémas alternatifs avec pauses thérapeutiques par opposition au schéma classique d’administration en continu du lenvatinib [3].
Vingt-cinq patients avaient des pauses programmées et 21 patients avaient un traitement en continu. On observe dans le groupe des pauses planifiées une meilleure survie sans progression et une meilleure survie globale, une exposition au lenvatinib à une posologie supérieure ou égale à 10 mg significativement plus longue et une diminution des toxicités intolérables.
Ce constat est soutenu par une autre étude observationnelle chez 262 patients traités par lenvatinib pour un CTD RAIR; les 73 patients traités avec un schéma comportant des pauses thérapeutiques programmées ont eu une meilleure survie sans progression que les patients traités sans pause thérapeutique programmée [4].
2- Diminuer la posologie du lenvatinib ?
En 2022, Brose et al ont publié une étude randomisée de phase 2, en double aveugle, de non-infériorité entre 2 doses d’initiation du lenvatinib à 24 mg versus 18 mg [5]. L’objectif de cette étude était de voir si une dose inférieure à la dose utilisée dans l’étude princeps permettait d’avoir une efficacité identique avec une toxicité moindre. Pour rappel, dans SELECT, le taux de réponse était de 64,8% dans le bras lenvatinib.
Dans l’étude de Brose, des adaptations de doses étaient prévues dans les 2 bras et les critères étudiés étaient le taux de réponse et le pourcentage d’effets indésirables de grade supérieur ou égal à 3 à la 24ième semaine, car d’après les données de SELECT, le taux de réponse à la 24ième semaine semble prédire la survie sans progression. Cette étude a inclus 152 patients, 75 dans le bras 24 mg et 77 dans le bras 18 mg avec un âge médian de 65,5 ans et des ECOG similaires.
En termes d’efficacité, l’étude est négative car la non-infériorité n’a pas été démontrée, avec un taux de réponse de 57,3% dans le bras 24 mg et de 40,3% dans le bras 18 mg. Le taux et la durée d’interruption de traitement est similaire dans les 2 bras. Il y a eu davantage de réduction de dose dans le groupe 24 mg, mais le taux d’arrêt définitif de traitement est similaire dans les 2 bras.
La dose-intensité médiane quotidienne est de 18,7 mg dans le bras 24 mg et de 15,4 mg dans le bras 18 mg. En termes de tolérance, le taux d’effets secondaires de grade supérieur ou égal à 3 est similaire dans les 2 bras. Même si les auteurs concluent qu’il est préférable de débuter le traitement à 24 mg avec des réductions de dose quand cela est nécessaire pour un bénéfice clinique maximal si l’on vise la réponse objective, il faut souligner que la SSP est comparable dans les deux groupes, évaluée à 24 mois, ce qui en soi est un excellent résultat pour le groupe à faible dose.
Une position inverse est soutenue par l’analyse rétrospective de Jiang et al qui a étudié chez 65 patients différentes doses d’initiation du lenvatinib (de 4 à 24 mg par jour), mais avec une dose médiane de 10 mg par jour pendant les 3 premiers mois de traitement [6]. Il est rapporté un taux de contrôle de la maladie de 89%, avec 10% de patients en progression tumorale d’emblée, une survie sans progression médiane de 26,1 mois avec une survie globale médiane non atteinte lors de la publication.
On a observé 44% de réduction de dose, 40% d’interruption de traitement mais peu d’effets secondaires de haut grade et seulement 3% d’arrêt définitif de traitement.
Une autre analyse rétrospective de Yamazaki et al [7] a étudié 36 patients divisés en 2 groupes : ceux qui avaient une dose d’initiation à 24 mg (full-dose = FD= 30 patients) et ceux qui avaient une dose d’initiation inférieure à 24 mg (low-dose = LD= 6 patients). On a observé des taux de réponse de 43% dans le groupe FD et 33% dans le groupe LD, avec 83% d’interruption de traitement dans groupe FD versus 67% dans le groupe LD, 93% de réduction de dose dans le groupe FD versus 67% dans le groupe LD, mais il n’y avait pas de différence significative quant à l’incidence des effets secondaires dans les 2 groupes.
La difficulté d’interprétation de ces résultats contradictoires vient du fait qu’il s’agit le plus souvent d’analyses rétrospectives, avec de faibles effectifs de patients.
3- Meilleure gestion des effets indésirables
Toutes les études et analyses sus-citées s’accordent pour dire qu’il est important de dépister de façon précoce les événements indésirables et d’en optimiser la prise en charge. L’éducation thérapeutique des patients et le recours à des infirmières de pratique avancée doivent être proposés dès que cela est possible [8]. Les modalités de surveillance sont traitées dans le chapitre 5b.
Un suivi pharmacologique du lenvatinib est possible, et a montré une variabilité pharmacocinétique dépendant du poids, conduisant les auteurs à recommander une baisse de dose pour un poids inférieur à 60 kg ou en cas d’insuffisance hépatocellulaire [9,10]. Ce suivi permettrait peut-être d’optimiser et de personnaliser la posologie à chaque patient, notamment en cas d’effets indésirables graves et/ou d’efficacité insuffisante pour proposer des adaptations posologiques à la carte. Même si cela n’est pas encore réalisable en pratique courante, cela doit être un défi thérapeutique à relever.
4- Conclusion
Pour répondre à la question initialement posée, il semble préférable de débuter le traitement à une posologie optimale (forte dose en recherche de réponse objective, dose plus faible pour privilégier la tolérance) en tenant compte de l’âge et des comorbidités du patient pour le meilleur compromis entre la survie sans progression et le taux de réponse. En cas de survenue de toxicité significative, les pauses thérapeutiques planifiées sembleraient préférables à des réductions de dose, sous réserve d’un manque de données solides en l’absence d’étude prospective.
Il est important d’optimiser le parcours patient afin de maintenir une exposition thérapeutique satisfaisante tout en limitant la survenue de toxicités inacceptables.
Références
[1] Schlumberger M, Tahara M, Wirth LJ, Robinson B, Brose MS, Elisei R, et al. Lenvatinib versus placebo in radioiodine-refractory thyroid cancer. N Engl J Med 2015;372:621–30. https://doi.org/10.1056/NEJMoa1406470.
[2] Tahara M, Brose MS, Wirth LJ, Suzuki T, Miyagishi H, Fujino K, et al. Impact of dose interruption on the efficacy of lenvatinib in a phase 3 study in patients with radioiodine-refractory differentiated thyroid cancer. Eur J Cancer Oxf Engl 1990 2019;106:61–8. https://doi.org/10.1016/j.ejca.2018.10.002.
[3] Matsuyama C, Enokida T, Ueda Y, Suzuki S, Fujisawa T, Ito K, et al. Planned drug holidays during treatment with lenvatinib for radioiodine-refractory differentiated thyroid cancer: a retrospective study. Front Oncol 2023;13:1139659. https://doi.org/10.3389/fonc.2023.1139659.
[4] Tahara M, Takami H, Ito Y, Okamoto T, Sugitani I, Sugino K, et al. A Prospective Cohort Study Exploring the Effect of Lenvatinib Planned Drug Holidays in Treatment of Differentiated Thyroid Cancer. Thyroid Off J Am Thyroid Assoc 2024;34:566–74. https://doi.org/10.1089/thy.2023.0553.
[5] Brose MS, Panaseykin Y, Konda B, de la Fouchardiere C, Hughes BGM, Gianoukakis AG, et al. A Randomized Study of Lenvatinib 18 mg vs 24 mg in Patients With Radioiodine-Refractory Differentiated Thyroid Cancer. J Clin Endocrinol Metab 2022;107:776–87. https://doi.org/10.1210/clinem/dgab731.
[6] Jiang H-J, Chang Y-H, Chen Y-H, Wu C-W, Wang P-W, Hsiao P-J. Low Dose of Lenvatinib Treatment for Patients of Radioiodine-Refractory Differentiated Thyroid Carcinoma - A Real-World Experience. Cancer Manag Res 2021;13:7139–48. https://doi.org/10.2147/CMAR.S326255.
[7] Yamazaki H, Iwasaki H, Takasaki H, Suganuma N, Sakai R, Masudo K, et al. Efficacy and tolerability of initial low-dose lenvatinib to treat differentiated thyroid cancer. Medicine (Baltimore) 2019;98:e14774. https://doi.org/10.1097/MD.0000000000014774.
[8] Capdevila J, Newbold K, Licitra L, Popovtzer A, Moreso F, Zamorano J, et al. Optimisation of treatment with lenvatinib in radioactive iodine-refractory differentiated thyroid cancer. Cancer Treat Rev 2018;69:164–76. https://doi.org/10.1016/j.ctrv.2018.06.019.
[9] Majid O, Hayato S, Sreerama Reddy SH, Lalovic B, Hihara T, Hoshi T, et al. Population pharmacokinetic-pharmacodynamic modeling of serum biomarkers as predictors of tumor dynamics following lenvatinib treatment in patients with radioiodine-refractory differentiated thyroid cancer (RR-DTC). CPT Pharmacomet Syst Pharmacol 2024;13:954–69. https://doi.org/10.1002/psp4.13130.
[10] Fogli S, Gianfilippo G, Cucchiara F, Del Re M, Valerio L, Elisei R, et al. Clinical pharmacology and drug-drug interactions of lenvatinib in thyroid cancer. Crit Rev Oncol Hematol 2021;163:103366. https://doi.org/10.1016/j.critrevonc.2021.103366.