Les référentiels du réseau ENDOCAN-TUTHYREF sont conçus comme un guide destiné à l'ensemble des professionnels de santé et des parties prenantes impliquées dans le traitement des cancers réfractaires de la thyroïde, qui rassemblent le cancer différencié de souche vésiculaire non répondeur à l’iode radioactif, le cancer médullaire thyroïdien localement avancé ou métastatique et le cancer anaplasique de la thyroïde.

Ces référentiels, élaborés par des membres du réseau ENDOCAN-TUTHYREF, ont pour objectifs de fournir des lignes directrices claires et détaillées pour aborder les différents aspects de la prise en charge, depuis l'évaluation initiale jusqu'aux traitements des patients en stade avancé, en s'appuyant sur les dernières données scientifiques, les connaissances médicales des centres experts et les pratiques cliniques validées à ce jour.

Ils abordent différents points comme la fréquence des cancers réfractaires et les variétés histologiques à risque de devenir réfractaire, les anomalies génétiques à rechercher au stade de cancer réfractaire, ainsi que les stratégies thérapeutiques validées, incluant les inhibiteurs de tyrosine kinase, la radiothérapie et les autres traitements locorégionaux, ainsi que la place des interventions ou réinterventions chirurgicales.

Ces référentiels visent à harmoniser les pratiques, à optimiser les soins pour offrir une prise en charge personnalisée et adaptée à chaque patient, tout en assurant une gestion des effets indésirables et des situations à risque, et faciliter la prise de décision en RCP à l’échelle locale comme nationale.

5d. Situations à risque sous ITK              

Livia Lamartina


Patients âgés et ITK 

En France un tiers des patients atteints de cancer ont plus de 75 ans. Chez les patients âgés l’évaluation onco-gériatrique permet de prédire de façon indépendante le risque de toxicité sévère et la survie globale et permet d’aller au-delà d’un plan de traitement basé exclusivement sur le jugement clinique et l’âge pour éviter le sur- et (plus souvent) le sous-traitement [1].

Dans une analyse de sous-groupe de l’essai de phase 3 SELECT, les patients âgés de plus de 65 ans (âge médian de 71 ans) avaient un risque de toxicité sévère de 89% (vs 67% chez les plus jeunes), avec nécessité rapide (médiane 1,5 mois) d’une diminution de dose, jusqu’au palier de dose plus bas (10 mg) et une dose médiane de traitement moindre. La survie sans progression était comparable à celle des patients plus jeunes avec un avantage en termes de survie globale par rapport au placebo [2].

Une étude rétrospective de 79 patients atteints de cancer médullaire de la thyroïde traités par vandetanib a trouvé au contraire que les patients plus âgés avez des réponses au traitement moins prolongés [3].

Une évaluation et un suivi oncogériatrique est donc souhaitable pour tous les patients à partir de l’âge de 75 ans avant l’introduction d’un traitement anticancéreux. Pour les patients fragiles il est légitime de discuter une adaptation de la dose initiale du traitement et une surveillance plus intensive.  

                                              

ITK en cas d’insuffisance rénale, hépatique et interactions médicamenteuses

Le métabolisme des principaux inhibiteurs multikinase ou sélectifs est hépatique, avec une excrétion rénale variable. Des adaptations de la dose du médicament sont souvent nécessaires pour ces patients. La problématique des patients atteints d’insuffisance rénale où hépatique sévère est peu étudiée en raison de l’exclusion de ces patients des essais cliniques. La plupart des ITK sont métabolisés par le cytochrome CYP3A4 et des nombreuses interactions pharmacologiques sont possibles et peuvent être responsables d’une surexposition responsable de toxicités dont des toxicités graves, ou d’une sous exposition responsable d’inefficacité.

Les médicaments anti acide comme les IPP doivent être évités le plus possible en raison d’une possible diminution de l’assimilation gastrointestinale des ITK avec un pH moins acide. Une large étude de registre de 12.538 patients avec cancer a observé qu’environ 1 patient sur 4 recevait à la fois ITK et IPP et que cette association était associée à une mortalité augmentée [4]. Les ITK peuvent aussi modifier l’exposition aux traitements concomitants et une attention spéciale doit être accordée aux traitements à fenêtre thérapeutique étroite. Les interactions doivent être recherchées systématiquement avant l’introduction de tout ITK si possible à l’aide d’une consultation avec un pharmacien spécialisé.

Les principales données sur le métabolisme, l’excrétion, la conduite à tenir en cas d’insuffisance rénale sévère et dialyse et insuffisance hépatique ainsi que les principales interactions médicamenteuses sont résumées dans le tableau suivant [5].

Médicament

Métabolisme principale

Excrétion rénale du médicament et des métabolites

Conduite à tenir en cas d’insuffisance rénale sévère

Dialyse

Conduite à tenir en cas d’insuffisance hépatique

Principales interactions

Cabozantinib

(IMK antiVEGF)

Hépatique, CYP3A4

27%

DFG < 30 ml/min

Pas d’adaptation de dose en ligne théorique

Pas de donnés (pas d’adaptation de dose en ligne théorique)

Child-Pugh A-B: 66% de la dose

Child-Pugh C: non

recommandé

Puissants inhibiteurs (es. Ketokonazole) et inducteurs (es rifampicine) du CYP3A4

Inhibiteurs de MRP2 (es. cyclosporine, efavirenz)

Pas d’interaction pour les IPP/antiacide

Dabrafenib (antiBRAF)

Hépatique, CYP2C8 et CYP3A4

23%

Pas de données (pas d’adaptation de dose en ligne théorique)

Le médicament  n’est pas  dialysé,

concentrations comparables à celles des patients avec fonction rénale normale

Insuffisance hépatique modérée à sévère, pas de données, baisse de 50% de la dose conseillée

Puissants inhibiteurs et inducteurs du CYP3A4 et du CYP2C8

Pas d’interaction significative pour les IPP/antiacide

Inducteur des cytochromes CYP2B6, CYP2C8, CYP2C9, CYP2C19, et UGT et des protéines de transport des médicaments (es. Pgp et MPR2)

Larotrectinib (antiNTRK)

Hépatique, CYP3A4

39%

Pas d’adaptation de dose

Pas d’adaptation de dose

Child-Pugh B-V Child-Pugh A-B:C: 50% de la dose

Inhibiteur et inducteur du CYP3A, de la P-gp et inhibiteur  de la BCRP

faible inhibiteur du CYP3A (tacrolimus), inducteur du CYP2B6

Lenvatinib

(IMK antiVEGF)

Hépatique, CYP3A4

24%

DFG < 30 ml/min dose d’attaque 14 mg

Pas de donnés

Child-Pugh A-B: pas d’adaptation de la dose

Child-Pugh C: 14 mg (50%)

Pas d’interaction majeure selon EMA

Pazopanib

(IMK antiVEGF)

Hépatique, CYP3A4

<4%

DFG < 30 ml/min Pas d’adaptation de dose en ligne théorique

Pas de données (improbable que la drogue soit dialysée)

Insuffisance hépatique modérée : 200 mg QD (25%)

sévère, non

recommandé

Puissant inhibiteur et inducteur

du CYP3A4,

P-gp et BCRP

la co-administration de pazopanib avec des

médicaments qui augmentent le pH gastrique doit être évitée**

pazopanib est un inhibiteur de l'enzyme UGT1A1

Selpercatinib

(antiRET)

Hépatique, CYP3A4

24%

Pas d’adaptation de dose

Pas de données

Child-Pugh A-B: pas d’adaptation de la dose

Child-Pugh C: 80 mg BID (50%)

Puissant inhibiteur et inducteur

du CYP3A4

Un PH augmenté peut réduire l’assimilation, prise de ranitidine 2h après la prise de selpercatinib à jeun ou un IPP avec prise du selpercatinib avec le repas possible

Inhibiteur du CYP2C8 et du CYP 3A4 et du P-gp (digoxine !)  

Sorafenib (IMK antiVEGF)

Hépatique, CYP3A4

19%

DFG 20-39 ml/min: 200 mg BID, augmenter la dose selon la tolérance

DFG< 20 ml/min où dialyse: 200 mg QD,

augmenter la dose selon la tolérance (Miller et al)

Child-Pugh A-B: pas d’adaptation de dose

Child-Pugh C:

200mg QD, et augmenter selon la tolérance

Puissant inhibiteur et inducteur

du CYP3A4

Néomycine peut altérer la flore digestive et diminuer l’exposition au sorafenib pour altération du recyclage entéro-hépatique

Sunitinib (IMK antiVEGF)

Hépatique, CYP3A4

16%

Pas d’adaptation de dose

Pas d’adaptation de dose

Augmenter le dosage selon la tolérance et les dosages pharmaco (une exposition réduite est possible sous dialyse) 

Child-Pugh A-B: pas d’adaptation de dose

Child-Pugh C: Pas de donnés (pas d’adaptation de dose en ligne théorique)

Puissant inhibiteur et inducteur

du CYP3A4

Trametinib

(antiMEK)

Hépatique, déacetylation par enzymes hydrolytiques

19% ou <

Pas de donnés (pas d’adaptation de dose en ligne théorique)

Pas d’adaptation de dose

Insuffisance hépatique moderée : 1 mg QD (50%)

sévère, pas

recommandé

Inhibiteur puissant du P-gp

Vandetanib (IMK antiVEGF)

Hépatique, CYP3A4

44%

DFG

30 - 50 ml/min: 200 mg QD (67% de la dose)

< 30 ml/min: 50% de la dose 

Pas de données (50% de la dose)

Pas d’adaptation de dose

Bilirubine 1,5 ULN non

recommandé

Inducteur puissant du CYP3A4

Médicament connu pour allonger l’intervalle QTc

Inhibiteur du OCT2 (metformine) et du P-gp (digoxine)

**Dans le cas où l'utilisation concomitante d'un inhibiteur de pompe à protons (IPP) s'avère médicalement nécessaire, il est recommandé que la dose de pazopanib soit prise une fois par jour le soir, sans nourriture, au même moment que l'IPP. Dans le cas où l'administration concomitante d'un antagoniste du récepteur H2 s'avère médicalement nécessaire, le pazopanib doit être pris sans nourriture, au moins 2 heures avant ou au moins 10 heures après l'administration de l'antagoniste du récepteur H2. Le pazopanib doit être administré au moins 1 heure avant ou 2 heures après l'administration d'antiacide d'action rapide.

Invasion des VAS ou de l’œsophage et anti VEGF: conduite à tenir ? Hémoptysie et fistule et anti VEGF: conduite à tenir ?

Le risque de saignement est augmenté avec le traitement par les inhibiteurs de kinase à action antiVEGF par rapport aux traitements par chimiothérapie ou placebo (OR = 1.79; 95 % CI 1.50-2.13, p-value <0.0001) avec cependant un risque semblable pour les évènements graves (OR = 1.22; 95 % CI 0.87-1.71, p-value 0.74) selon une méta-analyse de 16 753 patients atteints de cancer dans 50 études randomisées et contrôlées [6].  Les hémoptysies sont parmi les évènements plus fréquents et graves [7]. 

L’envahissement des voies aériennes et de l’œsophage est un facteur de risque d’hémoptysie [8] et de fistule [9] dans les cancers réfractaires de la thyroïde en traitement par ITK antiVEGF. Il n’est pas prouvé qu’un traitement focal préalable des lésions à risque réduise le risque d’hémoptysie ou de fistule. La chirurgie et la radiothérapie pourraient au contraire augmenter le risque d’hémoptysie ou de fistule [10].

La présence de lésions proches des voies aériennes et dans l’angle trachéo-oesophagien est à rechercher attentivement par imagerie en coupe et fibroscopie avant l’introduction d’un traitement par ITK antiVEGF. Un traitement préventif de ces lésions avec localisation à risque est à discuter en RCP de recours avant que la paroi œsophagienne et trachéale ne soit envahie, selon l’évolutivité de la maladie et le contexte général du patient (avis d’expert, pas de données).

Références

[1]        Wildiers H, Heeren P, Puts M, Topinkova E, Janssen-Heijnen MLG, Extermann M, et al. International Society of Geriatric Oncology consensus on geriatric assessment in older patients with cancer. J Clin Oncol Off J Am Soc Clin Oncol 2014;32:2595–603. https://doi.org/10.1200/JCO.2013.54.8347.

[2]        Brose MS, Worden FP, Newbold KL, Guo M, Hurria A. Effect of Age on the Efficacy and Safety of Lenvatinib in Radioiodine-Refractory Differentiated Thyroid Cancer in the Phase III SELECT Trial. J Clin Oncol Off J Am Soc Clin Oncol 2017;35:2692–9. https://doi.org/10.1200/JCO.2016.71.6472.

[3]        Valerio L, Bottici V, Matrone A, Piaggi P, Viola D, Cappagli V, et al. Medullary thyroid cancer treated with vandetanib: predictors of a longer and durable response. Endocr Relat Cancer 2020;27:97–110. https://doi.org/10.1530/ERC-19-0259.

[4]        Sharma M, Holmes HM, Mehta HB, Chen H, Aparasu RR, Shih Y-CT, et al. The concomitant use of tyrosine kinase inhibitors and proton pump inhibitors: Prevalence, predictors, and impact on survival and discontinuation of therapy in older adults with cancer. Cancer 2019;125:1155–62. https://doi.org/10.1002/cncr.31917.

[5]        Krens SD, Lassche G, Jansman FGA, Desar IME, Lankheet NAG, Burger DM, et al. Dose recommendations for anticancer drugs in patients with renal or hepatic impairment. Lancet Oncol 2019;20:e200–7. https://doi.org/10.1016/S1470-2045(19)30145-7.

[6]        Das A, Mahapatra S, Bandyopadhyay D, Samanta S, Chakraborty S, Philpotts LL, et al. Bleeding with vascular endothelial growth factor tyrosine kinase inhibitor: A network meta-analysis. Crit Rev Oncol Hematol 2021;157:103186. https://doi.org/10.1016/j.critrevonc.2020.103186.

[7]        Qi W-X, Tang L-N, Sun Y-J, He A-N, Lin F, Shen Z, et al. Incidence and risk of hemorrhagic events with vascular endothelial growth factor receptor tyrosine-kinase inhibitors: an up-to-date meta-analysis of 27 randomized controlled trials. Ann Oncol Off J Eur Soc Med Oncol 2013;24:2943–52. https://doi.org/10.1093/annonc/mdt292.

[8]        Lamartina L, Ippolito S, Danis M, Bidault F, Borget I, Berdelou A, et al. Antiangiogenic Tyrosine Kinase Inhibitors: Occurrence and Risk Factors of Hemoptysis in Refractory Thyroid Cancer. J Clin Endocrinol Metab 2016;101:2733–41. https://doi.org/10.1210/jc.2015-4391.

[9]        Blevins DP, Dadu R, Hu M, Baik C, Balachandran D, Ross W, et al. Aerodigestive fistula formation as a rare side effect of antiangiogenic tyrosine kinase inhibitor therapy for thyroid cancer. Thyroid Off J Am Thyroid Assoc 2014;24:918–22. https://doi.org/10.1089/thy.2012.0598.

[10]      Fugazzola L, Elisei R, Fuhrer D, Jarzab B, Leboulleux S, Newbold K, et al. 2019 European Thyroid Association Guidelines for the Treatment and Follow-Up of Advanced Radioiodine-Refractory Thyroid Cancer. Eur Thyroid J 2019;8:227–45. https://doi.org/10.1159/000502229.