Les référentiels du réseau ENDOCAN-TUTHYREF sont conçus comme un guide destiné à l'ensemble des professionnels de santé et des parties prenantes impliquées dans le traitement des cancers réfractaires de la thyroïde, qui rassemblent le cancer différencié de souche vésiculaire non répondeur à l’iode radioactif, le cancer médullaire thyroïdien localement avancé ou métastatique et le cancer anaplasique de la thyroïde.

Ces référentiels, élaborés par des membres du réseau ENDOCAN-TUTHYREF, ont pour objectifs de fournir des lignes directrices claires et détaillées pour aborder les différents aspects de la prise en charge, depuis l'évaluation initiale jusqu'aux traitements des patients en stade avancé, en s'appuyant sur les dernières données scientifiques, les connaissances médicales des centres experts et les pratiques cliniques validées à ce jour.

Ils abordent différents points comme la fréquence des cancers réfractaires et les variétés histologiques à risque de devenir réfractaire, les anomalies génétiques à rechercher au stade de cancer réfractaire, ainsi que les stratégies thérapeutiques validées, incluant les inhibiteurs de tyrosine kinase, la radiothérapie et les autres traitements locorégionaux, ainsi que la place des interventions ou réinterventions chirurgicales.

Ces référentiels visent à harmoniser les pratiques, à optimiser les soins pour offrir une prise en charge personnalisée et adaptée à chaque patient, tout en assurant une gestion des effets indésirables et des situations à risque, et faciliter la prise de décision en RCP à l’échelle locale comme nationale.

6b. Cancers réfractaires : place de la chirurgie cervicale

Dana Hartl, Ingrid Breuskin


La chirurgie cervicale du cancer thyroïdien réfractaire peut être proposée dans trois circonstances, soit dans le but d'obtenir un contrôle local de la maladie, soit dans un objectif palliatif et symptomatique, ou bien dans le but de prévenir des complications loco-régionales.

La discussion d'une approche chirurgicale – chirurgie première ou réintervention -  doit toujours prendre en compte plusieurs facteurs, en particulier le risque de complications temporaires et permanentes au niveau des nerfs récurrents, vagues, spinaux accessoires et phréniques, et le risque de trachéotomie permanente, qui est un facteur de diminution de la qualité de vie [1,2]. La progression tumorale est à prendre en compte. Les lésions stables peuvent relever d'une surveillance, sauf si une évolution locale ultérieure comporte un risque de complications à type de fistule trachéo-oesophagienne, d’hémoptysie ou de dyspnée.

Les lésions rapidement progressives relèvent plutôt d'un traitement médical avant un éventuel recours à la chirurgie en cas de stabilisation. L'état général du patient, l'espérance de vie, et la présence de métastases à distance et leur évolutivité sont à prendre en compte, ainsi que la volonté du patient.

Chez les patients ayant uniquement des adénopathies cervicales ne fixant pas ou plus l'iode radioactif, sans métastases à distance, la reprise du curage par un chirurgien expert permet d’obtenir une excellente réponse peut être obtenue chez 40 à 100% des patients, avec un risque de rechute ultérieure estimée à 24%, et un taux de complications de moins de 10% dont 2% d’hypoparathyroïdies surajoutées et 0,6% de nouvelles paralysies récurrentielles [3].

Chez les patients ayant des métastases à distance, une chirurgie cervicale peut être discutée en réunion de concertation pluridisciplinaire s'il existe des lésions cervicales symptomatiques et si la chirurgie ne comporte pas ou peu de risque de compromettre les fonctions de la parole, la déglutition et la respiration, ou de diminuer la qualité de vie. Les lésions situées dans l'angle trachéo-oesophagien sont particulièrement problématiques. En cas d'évolution, il y a un risque d'envahissement trachéal ou oesophagien.

En cas de chirurgie, il y a un risque important de paralysie récurrentielle permanente, avec dysphonie et diminution de la qualité de vie, voire de trachéotomie si la corde vocale controlatérale est déjà paralysée. En cas de traitement par inhibiteurs de tyrosine kinase, il y a un risque de développer une fistule trachéo-oesophagienne. Une chirurgie "préventive" pourrait donc être discutée dans ce contexte.

Un traitement par inhibiteur de tyrosine kinase (ciblé après analyse moléculaire, ou traitement par un inhibiteur multi-kinase) en situation néo-adjuvante, c'est-à-dire avant toute chirurgie, peut être discuté pour les cancers localement avancés, jugés inopérables ou opérables mais avec des séquelles inacceptables, dans un but d'obtenir une réponse permettant une chirurgie avec moins de séquelles.

La question d’opérabilité est jugée sur l’évaluation de l’atteinte des structures critiques pour la préservation des fonctions de la voix, la respiration et la déglutition. Les structures « critiques » sont le nerf récurrent, le cartilage cricoïde, le cartilage thyroïde, la trachée et l’œsophage. Il existe des limites de ce qui est possible avec préservation de la fonction (l’arc antérieur du cartilage cricoïde par exemple) et des limites de ce qui est possible tout court (il n’est pas possible de réséquer plus de 5 anneaux trachéaux, par exemple).

Les structures vasculaires « critiques » sont celles dont la résection comporte une morbidité importante (artère carotide commune, artère vertébrale, tronc artériel brachio-céphalique). Généralement, une résection nécessitant une sternotomie est considérée comme ayant une morbidité importante également. Des scores d’évaluation, tels que le « Thyroid Neck Group Morbidity  Complexity Score » reporté dans le Tableau 6b-I [4], difficiles à employer en routine et non encore validés, sont en cours de développement pour tenter de rendre l’évaluation de la résécabilité plus objective.

Pour rajouter à la complexité, les examens d’imagerie manquent de sensibilité et de spécificité pour l’évaluation de l’envahissement des structures telles la trachée et l’œsophage, et la résécabilité parfois ne peut se juger que lors d’une intervention chirurgicale. Même pour les tumeurs jugées résécables, les limites d’exérèse sont le plus souvent très proches ou envahies (R1 au mieux), et de ce fait, un traitement adjuvant par radiothérapie externe peut se discuter pour optimiser le contrôle local.

Le risque de morbidité du geste chirurgical doit être pesé contre le risque de mortalité/morbidité lié au cancer et évalué par rapport aux autres options thérapeutiques dans le cadre d’une RCP multidisciplinaire. Pour l'instant, le traitement néoadjuvant est validé pour les cancers anaplasiques portant la mutation somatique BRAF [5]. Des essais thérapeutiques sont en cours pour évaluer cette stratégie dans les cancers différenciés, peu différenciés et médullaires.

 

Tableau 6b-I : Thyroid Neck Group Morbidity Complexity Score

0       (Morbidité faible)

-        Maladie limitée à la thyroïde et/ou aux ganglions cervicaux

1    (Morbidité modérée)

-        Extension extra-thyroïdienne et/ou extra-ganglionnaire macroscopique étendue aux muscles ou à la veine jugulaire interne

-        Envahissement superficiel du muscle oesophagien ou du constricteur inférieur

2    (Morbidité importante)

-        Tumeur dans l’angle trachéo-oesophagien avec risque d’envahissement d’un nerf récurrent

-        Envahissement trachéal nécessitant une résection <4 cm

-        Envahissement du médiastin supérieur nécessitant une sternotomie

-        Envahissement des cartilages laryngés pouvant être réséqué sans laryngectomie totale et sans trachéotomie

-        Envahissement des nerfs crâniens XI et/ou XII

3    (Morbidité très importante)

-        Risque de paralysie récurrentielle bilatérale post-opératoire (maladie dans les 2 angles trachéo-oesophagiens)

-        Envahissement laryngé ou pharyngé nécessitant une laryngectomie totale ou une résection oesophagienne importante

-        Tumeur nécessitant une résection trachéale > 4 cm

4     (Non-résécable)

-        Artère carotide ou tronc artériel brachio-céphalique entourée par la tumeur (360°)

-        Envahissement du fascia prévertébral

-        Envahissement du plexus brachial

Références

[1]        Shindo ML, Caruana SM, Kandil E, McCaffrey JC, Orloff LA, Porterfield JR, et al. Management of invasive well-differentiated thyroid cancer: an American Head and Neck Society consensus statement. AHNS consensus statement. Head Neck 2014;36:1379–90. https://doi.org/10.1002/hed.23619.

[2]        Wu C-W, Dionigi G, Barczynski M, Chiang F-Y, Dralle H, Schneider R, et al. International neuromonitoring study group guidelines 2018: Part II: Optimal recurrent laryngeal nerve management for invasive thyroid cancer-incorporation of surgical, laryngeal, and neural electrophysiologic data. The Laryngoscope 2018;128 Suppl 3:S18–27. https://doi.org/10.1002/lary.27360.

[3]        Lamartina L, Borget I, Mirghani H, Al Ghuzlan A, Berdelou A, Bidault F, et al. Surgery for Neck Recurrence of Differentiated Thyroid Cancer: Outcomes and Risk Factors. J Clin Endocrinol Metab 2017;102:1020–31. https://doi.org/10.1210/jc.2016-3284.

[4]        Russell M, Gild ML, Wirth LJ, Robinson B, Karcioglu AS, Iwata A, et al. Neoadjuvant therapy to improve resectability of advanced thyroid cancer: A real-world experience. Head Neck 2024;46:2496–507. https://doi.org/10.1002/hed.27735.

[5]        Wang JR, Zafereo ME, Dadu R, Ferrarotto R, Busaidy NL, Lu C, et al. Complete Surgical Resection Following Neoadjuvant Dabrafenib Plus Trametinib in BRAFV600E-Mutated Anaplastic Thyroid Carcinoma. Thyroid Off J Am Thyroid Assoc 2019;29:1036–43. https://doi.org/10.1089/thy.2019.0133.